Mon chemin intérieur
Toute vérité est une route tracée à travers la réalité.
Henri Bergson
Après plusieurs pèlerinages, nous devenons certainement plus aguerris et plus avertis face aux épreuves du chemin. Notre expérience nous facilite la planification et l’organisation du voyage. Notre équipement s’est graduellement précisé et adapté à nos réels besoins. Notre corps connait ses limites et ses faiblesses. Nous reprenons la route avec cette promesse d’un bien-être intérieur. Tout comme le travailleur éreinté qui s’évade pour une fin de semaine de pêche sur un lac après une semaine bien chargée, comme la jeune mère qui sort silencieusement de la chambre de bébé pour aller s’allonger avec un bon roman après un avant-midi de coliques, ou les grands-parents qui préparent soigneusement la maison avant une fête familiale; Le pèlerin récidiveur part à la recherche de cette sensation intérieure qui l’a habitée la dernière fois et qu’il espère encore pouvoir goûter. Mais comment saisir ce qui n’est pas palpable? Quels sont les ingrédients qui permettent à ce bien-être de jaillir en soi?
Étonnamment, quel que soit le nombre de pèlerinage que je fais, chaque fois, je constate que je traverse à nouveau les mêmes étapes :
- l’excitation mêlée d’inquiétude du départ. Vouloir que tout soit bien planifié et que rien ne soit laissé au hasard.
- le plaisir des premiers jours. La sensation que vit tout voyageur. L’émerveillement face au dépaysement et à la nouveauté.
- la douleur et l’inconfort. Peu importe notre expérience de voyage et notre entrainement, notre corps a des limites et des faiblesses qu’il faut apprendre à respecter à chaque jour de marche.
- la remise en question. Le fameux «pourquoi». Pourquoi m’imposer cette épreuve? Pourquoi suis-je ici? Pourquoi marcher?
- et aux environs du 10e jour de marche, le pèlerin sent naître en lui ce qu’il recherchait.
Le pèlerin qui découvre ce sanctuaire n’y arrive pas sans peines ni sans efforts. Pour y accéder, tout au long des 10 jours, le pèlerin chemine autant physiquement que psychiquement. Chacune des étapes qu’il traverse l’éclaire un peu plus sa route intérieure et le guide pour aller vers ce mieux-être. Ainsi des apprentissages se font à chaque étape précédemment identifiée:
- C’est la première phase du lâcher-prise pour aller vers la confiance. Le pèlerin apprend à vivre avec l’imprévu et l’inconnu. Il les apprivoise et les dédramatise. Graduellement, au fil des jours, le pèlerin détricote certaines pratiques, certaines exigences, certains comportements qui lui apparaissent maintenant inutiles, nuisibles ou superflus.
- C’est l’acceptation du changement. Le pèlerin s’ouvre à la nouveauté et à la diversité. Il en découvre les plaisirs et les limites. Il apprend à s’y adapter, change certaines habitudes, en développe d’autres pour ainsi être en cohérence avec ce qui l’entoure.
- C’est l’écoute et le respect de soi. Le corps est un excellent baromètre de notre bien-être intérieur. Le pèlerin qui sait l’écouter et s’ajuster pour bien vivre sa marche apprend ainsi à cheminer en harmonie avec lui-même. Pour y parvenir, il faut reconnaître ses limites et ses faiblesses, et ce tant physiques que psychiques. Le pèlerin qui prend le temps d’adapter son rythme et sa marche à ce que son corps peut fournir et endurer, s’évite les blessures graves ou inutiles, et diminue la douleur. Il avance en respectant celui qu’il est vraiment et rend sa route plus agréable.
- C’est définir mon rôle dans la vie. Le pèlerin, à travers ses questions, cherche à mieux se connaître pour préciser son chemin de vie. Chaque chose sur Terre a sa raison d’être, quelle est la mienne? Qui suis-je vraiment? Pourquoi suis-je ici? Quelle est cette vie que je souhaite? Ce désir de vivre en cohérence avec la vie amène le pèlerin à prendre des décisions et à poser des actions en ce sens.
Au terme de ce remue-ménage intérieur, le pèlerin qui tend de plus en plus à vivre en harmonie avec le monde extérieur et en cohérence avec son monde intérieur, vit une sensation de bonheur qui lui est toute personnelle. Il doit prendre conscience de tous ces ingrédients qui rendent possible cet état s’il veut pouvoir le vivre à nouveau lors de son retour de pèlerinage. Car ce n’est pas le soleil de l’Espagne, ni le vin de France, ni les plages de Gaspésie qui suffisent à procurer ce sentiment. Ce que le pèlerin cherche est en lui. Le cadre du pèlerinage favorisera l’émergence de ce que chacun porte déjà en son cœur, mais le pèlerin n’y accédera que s’il accepte de se laisser déplacer intérieurement.
Brigitte Harouni