Les pas…sages pèlerins

2015-05-16 0 Par Éric Laliberté

Toute notre vie nous sommes appelés à nous déplacer, à effectuer des passages qui nous transforment : déplacement de soi en regard du monde, déplacement de perception, de compréhension. Des déplacements qui, bien souvent, changent notre vie de manière radicale; nous retournant comme une chaussette.

Bottes et Vélo - Du Puy-en-Velay à Compostelle

Dans le deuxième tome d’Alice au Pays des Merveilles, Lewis Carroll fait passer la jeune fille de l’autre côté du miroir dans un pays où tout est à l’inverse de ce que nous connaissons. Un regard inversé qui nous fait découvrir la réalité sous un autre angle. Comme si quelque chose nous échappait de la réalité. Les pas…sages pèlerins ont bien souvent cet effet sur nous.

Par expérience, nous le savons tous, il suffit bien souvent d’un simple déplacement, d’un pas de côté, pour réaliser que notre vue était bloquée, qu’il nous manquait tout un pan du paysage, que notre regard voilé avait déformé la réalité. Il suffisait d’un angle différent, d’une lumière différente, d’un détail qui nous échappait, pour réaliser que tout peut être transformé… La vie, notre vie, se révèle soudainement autre lorsque nous avons fait ce passage vers une nouvelle perception.

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Revêtir le rôle de pèlerin, c’est se rappeler que nous sommes des êtres de passage. La vie est une longue migration qui nous mène de déplacement en déplacement, nous faisant découvrir la vie sous des angles différents, nous éveillant à toujours plus grand. Le pèlerinage appelle le pèlerin à se laisser déplacer, à vivre des passages qui le mèneront vers un ailleurs ouvrant sur un meilleur; en marche vers un lieu, un espace, de sanctification.

Camino Frances - PyrénéesSanctification. Sainteté. Ces mots peuvent en faire réagir plus d’un. Ils nous renvoient tantôt à un lieu mythique et inaccessible, ou encore à une histoire pour laquelle on ne se sent plus d’affinité, qui parfois nous fait même grincer des dents; peut-être même sans trop savoir pourquoi. Pourtant, si on s’y arrête, tout le monde prend part à cette sanctification, cette marche vers la sainteté, qu’on le veuille ou non.

Ce qui est sanctifié est bon, pur. Le pèlerin, dans sa marche concrète vers un sanctuaire, désire atteindre cet espace de sanctification, ce lieu, qui lui permettra de prendre contact avec ce qu’il y a de meilleur en lui. Un lieu où il sera révélé à lui-même dans toute son originalité, dans toute sa pureté. Entrer dans le sanctuaire, c’est entrer dans cette révélation. C’est là qu’est la sanctification, la sainteté. Elle n’a rien d’extraordinaire, rien de magique, elle est accessible à tous. En fait, elle est plutôt extraordinaire de par sa simplicité. Entrer dans le sanctuaire s’offre à celui/celle qui se met en marche, se laisse déplacer.

Notre quotidien est marqué par cette marche en avant. Nous aspirons tous à offrir le meilleur de nous-mêmes. Cependant, le pèlerin s’investit dans cette tâche d’une manière toute particulière, mettant tout son être en marche. Chacun de ses pas le conduit dans cette direction et chaque jour le révèle davantage à lui-même, le faisant entrer un peu plus dans ce sanctuaire.

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Les passages nous conduisent d’un lieu à un autre, nous transforment et nous remettent en question; mais, ce sont les pas faits avec sagesse, les « pas sages », qui nous font entrer dans la vérité : la vérité sur soi. Les pas sages du pèlerin cherchent à le révéler à lui-même, pour faire tomber ses illusions. Le chemin l’interpelle, les rencontres le questionnent, le pèlerin est déplacé, sa posture change… La Voie du St-Laurent - L'Anse-à-Jean

Lentement, nos résistances s’assouplissent et nous voilà confrontés à nos certitudes, nos habitudes. Est-ce que je porte avec moi les bonnes choses? Est-ce que les signes qui balisent ma route correspondent au chemin que je désire fréquenter? Serais-je trop plein, encombré intérieurement, d’un tas de choses qui m’empêcherait d’avancer? Y aurait-il comme une barricade, une muraille, une forteresse au fond de moi pour me rassurer face à mes vulnérabilités?

Les pas faits avec sagesse, avec discernement, chercheront à faire tomber ces barricades. Ils ouvriront une brèche qui jettera une lumière différente sur ce que nous avions cru voir. Une ouverture qui changera notre regard.

En tant que pèlerin, je suis le projecteur à travers lequel circule la pellicule du chemin. La lentille de mon projecteur doit être désencombrée pour laisser passer la lumière et me permettre de poser un regard juste. Le pèlerin a besoin de se défaire de son trop-plein pour avancer avec sagesse. Il a besoin de faire le vide, de se désengorger pour que le chemin prenne forme en lui, qu’il se précise et s’articule; que s’ouvre un passage vers cet espace de sanctification où se révèle le meilleur de lui-même.

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Tous ces passages nous amènent à considérer les pas…sages sous un autre angle : celui de la délinquance. Se pourrait-il que dans ces « pas sages », au sens de ceux qui ne sont pas sages, il y ait une part de délinquance? Il semblerait, en effet, que dans le passage existe une part de rébellion. Un mouvement qui désire s’affranchir de ses enfermements, d’un certain modèle social, pour plus de liberté. 2014-08-07 13.47.36Mais qui est le pas sage? Le pas sage est celui/celle qui sait être rebelle quand vient le temps. Il est celui/celle qui se refuse à entrer dans la logique de notre époque où « la sagesse de ce monde est une folie devant Dieu. »

Cette citation d’une lettre de Paul nous donne un précieux indice sur en quoi consiste l’espace de sanctification vers lequel nous tendons. Ce meilleur que nous cherchons à atteindre se situerait à l’opposé de ce que nous avons édifié comme modèle social. Dieu se situant du côté de la vie, le « pas sage » serait donc celui qui sait s’opposer à ce qui étouffe la vie. Les pas du pèlerin le conduisent sur cette route qui l’affiche en contradiction avec notre époque. Le pèlerin – celui qui marche en terre étrangère, qui se sent étranger à ce monde – vient dénoncer l’encombrement et l’illusoire de notre époque. Il dénonce, par son simple sac à dos, une culture de l’objet : la maladie de posséder. Il avance avec lenteur dans un monde qui ne voit plus le temps passer. Il renoue avec la parole échangée, le pain partagé sur le chemin. Le pèlerin possède moins, fait moins, pour être plus. Plus de vie, plus vivant.

Les « pas sages » pèlerins nous renvoient à tous ces délinquants qui osent vivre autrement, défiant les principes admis. Les « pas sages » sont tous ceux qui osent franchir les règles d’une société qui nous enferment dans un monde déshumanisé, pour plus de liberté, pour plus de vie. C’est ce qu’ont fait Gandhi, Mère Térésa, Nelson Mandela, Martin Luther King, Jean Vanier et toutes ces personnes qui ont marqué l’histoire de l’humanité. Ils ont désobéi à l’ordre social, sans craindre les railleries (et parfois beaucoup plus…), pour se mettre en quête d’un meilleur. Ils ont fait le passage vers ce lieu de sanctification.Bottes et Vélo - Emblême

Éric Laliberté