La quête du pèlerin
L’être humain est fait pour être heureux. Il y a en chacun de nous, une part qui aspire à cet état de plénitude et la quête du pèlerin y est intimement liée. Le pèlerin marche, appelé par le bonheur, par la joie de vivre! Cependant, il y a dans l’horizon du pèlerin une réponse totalement anachronique à cet appel. Le pèlerin part en quête du bonheur et, au fil de sa route, le découvre d’une manière inattendue. Il sera compagnon de voyage, il sera en marche vers lui, mais il ne le possèdera pas!
Dans notre perpétuelle quête au bonheur, nous avons tendance à associer bonheur et possession. Cependant, cette forme de bonheur par appropriation (s’approprier l’objet, l’instant, les gens) éveille en nous la peur. Dès l’instant où nous croyons posséder l’objet de notre bien-être, s’éveille alors la peur de le perdre, la peur de souffrir. Lentement, pour ne pas souffrir, j’apprends à élever des fortifications autour de moi, pour me protéger. J’y entraîne à l’intérieur ceux et celles qui me sont chers. J’y enchaîne ce qui m’est précieux. Je verrouille à double tour et j’y cumule mon bonheur comme un placement en banque. Ce qui m’a rendu heureux aujourd’hui devrait me rendre heureux plus tard… Pourtant malgré cela, malgré tout ce qui m’entoure, malgré tout ce que je possède, malgré l’assurance de posséder, mon bonheur semble se dérober continuellement. Quand ce n’est pas lui qui fuit, c’est moi qui semble appelé à encore plus. Comme si chaque fois que je comblais un vide en moi, un autre se créait. Je ne suis jamais rassasié. Il me faut autre chose… Une nouvelle voiture, un nouveau partenaire, une nouvelle expérience, un nouveau look, un peu plus d’adrénaline, de luxe, des rénovations, de la spiritualité… je ne suis jamais comblé. Le bonheur me semble toujours fuyant. J’ai beau cumuler, accumuler, les honneurs, les richesses, les expériences de toutes sortes, le bonheur est toujours en avant.
Le bonheur se laisse désirer. Il nous attire vers lui, nous tenant dans cette tension qui demande l’effort de tendre vers. Il nous incite à l’initiative et nous responsabilise. Le bonheur nous attend sur la route, mais demande d’être en marche. Et si le bonheur était dans le mouvement?
Celui qui se lève et se met en route, tout comme le pèlerin, choisit de quitter ses certitudes, sa zone de confort. Il y a quelque chose d’inscrit au plus profond de nous qui nous laisse entrevoir dans l’exercice du pèlerinage, une réponse possible à notre désir de bonheur. Cependant, le pèlerinage ne fonctionne pas comme notre société. Sur le chemin, le pèlerin découvre rapidement que l’exercice le pousse à se défaire de tout. Les difficultés physiques l’amènent à se défaire de ses surplus, de ce qu’il croyait nécessaire à son bien-être. Soudainement dépossédé de ce qui engorgeait sa vie et semblait assurer son bonheur, il se surprend à être heureux. Libéré de tout ce superflu, le pèlerin s’observe et devient attentif à ce qui le faisait souffrir, alourdissait sa vie. Et, contrairement à nos habitudes de vie nord-américaines, moins devient plus : plus de légèreté, plus de plaisir, plus de bien-être…
Cette dynamique (sans nécessairement en avoir conscience) anime le pèlerin tout au long de sa marche. Il l’apprivoise et elle l’appelle, le pousse en avant, l’attire. Lentement, pas après pas, il découvre que souffrance et bonheur marchent ensemble. La première me signalant que je m’éloigne de l’autre. Sensible à cette réalité qui s’éveille, le pèlerin devient alors bienveillant envers lui-même. Le bonheur marche avec lui où l’attend au prochain carrefour, mais n’est jamais bien loin! Et lorsqu’il s’absente, c’est pour se faire désirer. Le bonheur devient itinéraire à suivre. Il se rencontre, il accompagne, il se traverse, mais jamais ne s’enferme. Je m’illusionne si je crois pouvoir me l’approprier.
« Hit the road Jack! And don’t you come back no more. » Prends la route Jack! Et ne reviens plus jamais, disait la chanson. Quitte ce vieux toi, cette part de toi qui te possède, t’enferme, te rend malheureux et n’y reviens plus jamais! Laisse-toi toucher par le chemin, par la Vie, laisse-toi transformer. Et si le bonheur était dans cette audace du pèlerin à sortir de ses enfermements? Se trouver déposséder pour trouver l’abondance, la satisfaction? Habiter ce vide, ce manque, au cœur de notre être, comme un enfant qui s’ennuie, qui n’a rien pour jouer… C’est dans ce vide que naissent les belles histoires et la créativité. C’est dans ce vide que loge l’émerveillement. C’est dans ce vide que je m’efforce d’aller à la rencontre de l’autre parce que je suis confronté à ma solitude. C’est dans cet espace libre que circule la Vie, que Dieu se fait entendre…
La quête du pèlerin nous met en marche, nous tire en avant. Elle nous incite à prendre la route en vue d’un meilleur et chacun de nos pas s’inscrit alors dans le bonheur. Un bonheur qui ne se possède pas. Il faut marcher vers lui, avec lui. Le bonheur se poursuit, c’est ça qui rend heureux.
Éric Laliberté