Chemin de libération
Le pèlerin ne se met jamais en marche pour rien. Il y a toujours une quête spirituelle qui le porte derrière cette longue pérégrination. Plusieurs prétendrons le contraire, affirmerons le faire simplement pour le défi sportif, seulement, après un certain temps, nous réalisons tous, presqu’à notre insu, que quelque chose nous poussait en avant. Quelque chose qui nous dépasse!
Lorsque j’ai pris la route pour la toute première fois, enfilant mes bottes et mon sac à dos – le chapeau bien enfoncé qu’il ne parte pas au vent – je croyais partir, quitter une situation de vie qui m’apparaissait lourde à porter. Je croyais me libérer des contraintes, des obligations, des exigences d’une manière de vivre qui m’apparaissait vide de sens, sans vie. Je laissais derrière moi une vie qui se passait entre travail et télévision, entre magasinage et distractions, entre illusions et mensonges. Je croyais que, dans cette proximité avec la nature, j’allais goûter quelque chose qui s’approchait de la vérité : une vérité inscrite en moi. Je croyais que j’allais goûter la Vie dans toute son abondance, que j’allais trouver un terrain où puisse s’épanouir cette part de moi qui étouffe dans ce monde-ci : beaucoup d’agitation, de griseries, d’étourderies, très peu de vie…
Notre société divise pour régner. Elle nous divise au cœur de notre être. Toute notre personne est dispersée en mille agitations qui ne sont pas pour autant signes de vie. Notre société consumériste suscite en nous des désirs, des croyances, des besoins qui nous laissent dans l’illusion, l’insatisfaction, d’avoir comblé une part de notre être. Et, de plus en plus, nous éduquons très tôt nos enfants à la dispersion. Dans un souci de performance et de compétition, d’honneur et de gratification, nous les conditionnons. Aucun temps libre : des cours de musique, des cours de langue, des cours de rattrapage, des compétitions sportives. Chaque espace de leur être doit être occupé, l’enfant ne peut plus s’amuser librement, se chicaner librement avec ses amis, prendre sa place, expérimenter, explorer par lui-même, s’apprendre et se découvrir. Non! Aujourd’hui, bon nombre d’entre nous programmons la vie de nos enfants et le seul temps libre qu’ils trouveront sera, bien souvent, devant l’ordi ou la télévision, déjà trop épuisés par le reste de leur vie.
Nous modelons la vie de nos enfants de la même façon que nous modelons la nôtre : tout doit être planifié! Nous dispersons nos enfants, comme nous nous dispersons nous-mêmes. Mais pourquoi tout ce branle-bas, toute cette agitation? Nos enfants sont de plus en plus stressés et angoissés face à la vie qui les attend tellement elle semble lourde de performance et d’exigences. Ce n’est pas normal de voir, dans nos écoles, des enfants de 10 ou 11 ans éduqués à la gestion du stress! La vie ne devrait pas être stressante à 10 ou 11 ans!!! Ne serait-ce pas plutôt à nous de nous remettre en question avec nos programmes d’éducation, nos exigences de perfection et notre manière de vivre? Aurions-nous perdu notre humanité? Le simple plaisir de vivre?
À travers toute cette dispersion, nous ne favorisons qu’une seule croissance et elle est économique! Nous nous précipitons dans toutes les directions, comme si nous avions à acheter les milles particules qui nous composent et allaient faire de nous ce que nous croyons être… Tout cela poussé inconsciemment par un désir de vivre que nous n’arrivons plus à contacter. L’être humain a besoin de se sentir unifié. La dispersion dans laquelle nous vivons mène à l’éclatement.
Dès les premiers jours sur mon chemin de pèlerinage, j’ai trouvé tout ce que je cherchais. Tout était au rendez-vous : les grands espaces, la beauté de la nature, le simple nécessaire pour vivre, le chemin qui se fait et se dessine en toute simplicité : je me sentais libre, enfin! Je reprenais possession de mon être. J’avais le cœur qui se dilatait au point que j’en avais la poitrine trop petite pour le contenir. Une joie intense comme j’en avais rarement éprouvée. Tout était beau, tout était bon et le sourire des autres pèlerins me reflétait ce ressenti que j’éprouvais. Je sentais que nous vibrions tous au même diapason. Chaque cellule de mon corps se sentait revivre. Je respirais ce doux plaisir d’être en vie, d’être à la Vie. Pas de télé, pas d’ordi, pas de cellulaire, pas de « il faut… », de « je dois… », même le « j’ai besoin de… » s’en trouvait réduit à sa plus simple expression. Tout mon corps relâchait!
Mais, ça n’a pas duré longtemps…
L’exigence physique du pèlerinage nous fait vite redescendre de notre petit nuage et déjà après une seule journée de marche, tout notre corps s’en ressent. Le lendemain matin, ce n’est plus aussi exaltant que la veille! Mais, tranquillement le corps se réchauffe, on reprend la route et on retrouve ce sentiment qui nous habitait.
Rapidement, sans se rendre compte, on replonge dans nos modèles de compétition et de performance, dans notre besoin de gloire et de reconnaissance, dans nos habitudes relationnelles, reprenant les rôles que nous connaissons.
Après cinq ou six jours de marche, on commence à se remettre en question. Le projet n’a plus la même couleur. On se trouve bien imbécile de se donner autant de mal. Les ronfleurs nous énervent, les hyper dynamiques nous tombent sur les nerfs, les placoteux nous étourdissent. Le projet n’est plus aussi séduisant….
La cause de tout ceci : mon corps souffre et je ne me sens plus à la hauteur. Je continue cependant, car j’ai du cœur au ventre que je me répète! Je suis un battant, un gagnant!!! Je ne me laisserai pas abattre! Je n’arriverai pas le dernier! Je ne me laisserai pas dépasser! Je ne laisserai pas paraître que je suis épuisé! Le hamster s’active dans ma cervelle, s’efforçant de répondre aux exigences que je me suis fixées, de répondre à un modèle qui n’est pourtant plus nécessaire sur ce camino.
Et les jours s’enchaînent dans ce tiraillement, dans ce déchirement intérieur, entre mon corps qui se tend pour répondre aux exigences que je formule, même inconsciemment, et tous les signaux que m’envoie mon corps pour me dire : je n’en peux plus de vivre comme ça! Une bataille qui se poursuivra jusqu’à ce qu’un jour, aux environs de la dixième journée, quelque chose se dénoue en moi. Quelque chose qui me fasse comprendre que ce que j’ai voulu quitter lorsque je me suis mis en route, je suis en train de le reproduire.
Ce moment est décisif dans mon pèlerinage parce que vécu dans ma chair. Mon corps, rompu par l’effort physique, vient à bout du psychique et me fait entrer dans ma dimension spirituelle. Ce n’est du plus réfléchi, c’est du ressenti! Un ressenti que je choisi de ne plus faire taire pour répondre à des exigences illusoires. Un ressenti que je choisi d’écouter pour entendre à travers lui la Vie qui cherche à se dire en moi.
Entrer dans cette dimension me libère de mon fardeau le plus lourd : moi.
Éric Laliberté
Merci… juste merci… grandement merci!…Je suis sans mot….
Merci à vous! Bon chemin! 🙂
Éric