Le parfum des imprévus
L’Inconnu est un petit chien inoffensif qui rugit comme un lion!
Laurent Martinez
Avec la neige qui fond au soleil, nous sommes nombreux à commencer à avoir des fourmis dans les jambes. Le désir de partir, de prendre son bagage pour aller arpenter des chemins inconnus résonne dans tout notre corps. La première étape du pèlerinage se met en branle : la planification! Et de nos jours, dans notre société, planifier est presque devenue une habitude, une obligation, une obsession. Tout est calculé, prévu, anticipé. Alors décider d’entreprendre un pèlerinage, pour la toute première fois, devient rapidement, pour certains, une source d’inquiétude et d’appréhension.Nous grandissons dans un environnement de plus en plus aseptisé de tout danger et de toute blessure. On nous conditionne à anticiper le pire et à s’y préparer. On prévoit les clauses de divorce lors du mariage, on profite du moment où on est en santé pour organiser notre enterrement, on inscrit notre enfant en garderie avant qu’il ne soit né! Notre vie est réglée à la minute près. L’horaire de chaque journée est déterminé à l’avance. Le trajet effectué est le même chaque jour, à la même heure. Les repas de la semaine sont prévus et parfois même, préparés durant la fin de semaine. Les billets de spectacle sont achetés 6 mois plus tôt, le voyage dans le sud s’organise depuis un an… Tout est planifié! Peu de place est laissée aux imprévus et à la spontanéité.
Planifier un pèlerinage, c’est accepter qu’il y aura des imprévus, apprendre à vivre avec l’inconnu. C’est une aventure qui nous sort de notre cadre de vie habituel. Tel le plongeur qui passe de l’air à l’eau, le pèlerin change de milieu et de mode de vie. Il troque l’abondance matérielle pour le minimalisme, l’individualité au profit du communautaire, le sédentarisme pour le nomadisme, la voiture pour la marche, la vitesse pour la lenteur, le cadran digital pour le soleil, les amis de longue date pour l’étranger. Dans ce nouvel environnement certaines choses sont telles qu’il les connait déjà et d’autres sont à découvrir et à apprendre pour s’adapter.
Faire un pèlerinage c’est une démarche d’apprentissage de la vie et de soi à travers une très longue marche. Et les imprévus sont une source riche en apprentissages. Ils sont souvent à la base d’agréables rencontres, de belles découvertes et procurent un sentiment de réalisation de soi inédit. Ils nous amènent à façonner notre confiance en nos capacités mais aussi notre confiance en la vie. En faisant confiance aux éléments qui nous entourent, on réalise qu’il y a toujours une solution même si elle n’était pas prévue :le pansement servira à réparer le poteau de tente brisé; la route sera plane le jour où j’ai le plus mal au genou; il y aura une sécheuse dans l’auberge qui nous accueillera après la journée de pluie en Espagne; un pickup embarquera nos vélos un jour de pépin mécanique majeur; une dame nous offrira deux bouteilles d’eau un jour de canicule; lorsque perdus, un cycliste fera un bout de route avec nous pour nous ramener dans la bonne direction et nous offrira le diner; après avoir manqué le traversier, un pêcheur offrira de nous amener jusqu’à l’ile … Souvent ce qui semblait être une mésaventure n’est en fait qu’une épreuve du parcours à travers laquelle chacun passera et réalisera toute la richesse qu’il a en lui et la générosité des gens qui l’entourent.
Tout ne peut pas être planifié et tout ne doit pas l’être pour que la vraie vie soit possible. Les imprévus sont une part essentielle de la vie. Les accepter c’est commencer à lâcher prise et faire confiance. Ces impondérables sont l’épice parfumée qui donnent du piquant au voyage. Ils sont toutes ces anecdotes que l’on se plaira à raconter à notre retour, et qui resteront à jamais, nos plus beaux souvenirs de ce merveilleux périple. Ils nous permettent de mieux nous connaître et d’aller vers l’autre dans un contexte purement humain. Mais pour bien saisir ce que je dis, il faut se permettre de le vivre et l’expérimenter. Vous constaterez alors que « C’est lorsque la situation est à son pire que l’Homme est à son meilleur. » (Extrait du film Starman) Allez-y prenez une grande respiration et plongez! L’eau n’est pas aussi froide qu’elle en a l’air!
Brigitte Harouni