Pourquoi le pèlerinage?
Si tu n’arrives pas à penser, marche ; si tu penses trop, marche ; si tu penses mal, marche encore.
Jean Giono
Encore bien des gens aujourd’hui ont une réaction mitigée lorsque nous annonçons entreprendre un pèlerinage. Au Québec, notre rapport au religieux et au spirituel relève encore, pour certains, du ressentiment ou du folklore. Ainsi, pour ces derniers, celui qui s’affiche en accordant de l’importance à la dimension religieuse et spirituelle de sa vie a quelque chose d’un peu naïf, voire de suspect. Pourtant, l’exercice du pèlerinage de longue randonnée semble interpeller une tranche grandissante de la population. Les statistiques du bureau des pèlerins à Santiago sont à couper le souffle face à ce phénomène: en 1982, 120 Compostelas (1) (certificat d’attestation de pèlerinage) furent délivrées à des pèlerins qui avaient entrepris le Camino Frances. En l’an 2000, ce nombre est passé à 55 000. Et en 2013, nous étions plus de 215 000 à parcourir la route qui mène de St-Jean-Pied-de-port à Saint-Jacques-de-Compostelle. Une augmentation constante de 10 à 12 % depuis les 20 dernières années (2) . Ces mêmes statistiques nous disent que seulement 5% à 7% des gens qui ont entrepris cette longue marche, le font exclusivement pour des motifs culturels. C’est donc dire que 93% à 95% des pèlerins marchent pour des motifs spirituels, voire religieux. L’expérience du pèlerinage de longue randonnée semble ébranler les pèlerins dans une dimension profonde de leur être. À tel point que le partage de cette expérience en contamine plus d’un!
Lorsque nous étions jeunes et que nous entendions parler de pèlerinage, c’était pour se rendre dans un sanctuaire. Que ce soit l’Oratoire St-Joseph, la Basilique Ste-Anne, le Cap-de-la-Madeleine, nous nous y retrouvions pour une occasion spéciale. Chez nous, la tradition voulait que lors du décès d’un membre de la famille une messe soit « chantée » à l’Oratoire St-Joseph. C’était l’occasion, pour notre famille élargie, de faire un « pèlerinage » à l’Oratoire. On en revenait chaque fois sous le choc d’avoir vu le cœur du frère André et impressionné par les centaines de béquilles accrochées aux murs de l’Oratoire. Les yeux écarquillés, on parcourait l’allée à la fois effrayé et émerveillé. Ces béquilles nous démontraient que des gens avaient fait ce pèlerinage et avaient vécu quelque chose de particulier. Quelque chose qui nous dépassait et relevait du divin. Pour moi, jeune, c’était ça le pèlerinage : une expérience hors du commun qui nous rassemblait en un lieu. Tout se passait là. L’expérience tenait dans le sanctuaire. Il n’était jamais question de marcher et encore moins que l’expérience dure plusieurs jours… Imaginez la frousse s’il avait fallu qu’on me dise que j’allais passer 30 jours en compagnie du cœur du frère André!!!
Fort heureusement, au cours des quarante dernières années l’expérience du pèlerinage s’est transformée, s’est déplacée. La popularité de Compostelle a transformé notre compréhension du pèlerinage, notre rapport au religieux et au spirituel. Avec Compostelle, nous avons retrouvé une forme active de l’expérience du pèlerinage : il a repris la route, il n’est plus contenu dans une église. Le pèlerinage est devenu un exercice spirituel engageant tout notre être et actualisant l’expérience de telle sorte qu’elle ne nous enferme plus. Ayant repris la route, il est devenu pèlerinage de longue randonnée; puisque c’est dans cette longue randonnée que l’expérience, la rencontre, s’accomplit. Et c’est ce qui suscite autant d’engouement pour le pèlerinage, il s’agit d’une démarche accessible à tous. La randonnée est une activité que nous pouvons tous pratiquer. Il n’est pas question de performance, ni de compétition. Il s’agit de vivre le pèlerinage et de se laisser toucher par l’expérience, de contacter cet espace en soi qui est immanent et transcendant à la fois. L’expérience du pèlerinage de longue randonnée invite à prendre soin de soi, faire le vide pour se renouveler, laisser nos sens s’éveiller à la vie, prendre le temps, rencontrer les gens autrement… C’est dans ce quotidien tout simple que l’expérience spirituelle s’accomplit. Compostelle nous enseigne que le pèlerinage est itinéraire de vie, il n’est pas un lieu physique. Le pèlerinage de longue randonnée est un parcours qui transforme par la force de ce qu’il impose comme manière de vivre. Aujourd’hui, s’engager dans un pèlerinage sous-entend s’engager dans une démarche, un processus qui demandera du temps. Suffit de se lancer, de prendre la route, quelle qu’elle soit, ici ou ailleurs.
Éric Laliberté
(1) L’Europe des pèlerinages : http://www.culture-routes.lu/php/fo_index.php?dest=bd_pa_det&id=00000083
(2) Statistiques : http://www.archicompostela.org/Peregrinos/Estadisticas/peregrinanos.htm et http://www.chemin-compostelle.info/statistiques/statistiques-pelerinage-compostelle.php