La prière de La Faba
Il n’est jamais trop tard pour devenir ce que l’on aurait pu être.
George Eliot
Tous ceux qui ont vécu un pèlerinage vous le diront : ils étaient rendus là sur leur chemin de vie. Et bien que certains avait entendu parler depuis longtemps parfois du célèbre chemin de Compostelle, chacun a décidé un jour que son temps était venu, que c’était maintenant, que ça ferait du bien, ça donnerait du temps, ça permettrait de prendre du recul, de faire le point, de repartir en neuf. Décider d’aller marcher sur un chemin de Compostelle ou d’entreprendre un long pèlerinage, c’est un peu comme le jour où on choisit d’avoir un enfant. C’est un temps que la convergence d’un ensemble de facteurs détermine, un constat intérieur d’être pleinement mûr pour passer à un changement dans le cours de notre vie, un désir intense de vivre autrement, de vivre autre chose.
Une fois que la décision est prise, dans les deux cas débute la phase des préparatifs : les achats et la cueillette d’information pour se rassurer! On s’entoure de bons conseils, espérant éviter le plus possible les imprévus et les mauvaises surprises, sachant pourtant qu’une fois le processus entamé, il faudra le vivre et tirer de chaque jour notre propre leçon. Sylvie Miaux nous le confirme bien en disant : « Le pèlerin se façonne en même temps que l’itinéraire se met en place. Pèlerin et itinéraire ne semblent faire qu’un. » Tout comme devenir parent débute avec les premiers jours de grossesse, l’homme devient pèlerin à travers sa marche. Et autant la future mère que le pèlerin, les deux auront à apprendre à composer avec les douleurs du parcours, les transformations du corps, les nouvelles habitudes alimentaires, la fatigue et parfois aussi les problèmes de sommeil. Puis avec le temps, ces inconforts cèderont la place au plaisir de vivre cette belle aventure. Dans ce nouveau contexte chacun aura le sentiment de vivre une expérience unique qui aiguise ses sens et embellit la vie. Le réseau sociale s’active et se modifie. L’entraide et le partage sont omniprésents. Puis arrivés au terme de la route, au bout du chemin, c’est l’accouchement, la naissance.
La différence entre la future maman et le pèlerin, c’est que dans presque tous les cas, la future mère a prévu revenir à la maison avec un petit nouveau. Elle a pensé à lui faire une place dans sa vie pour qu’il puisse grandir et s’épanouir. Alors que le pèlerin, qui est pourtant lui aussi parti dans l’espoir de vivre un changement, n’a souvent pas pensé qu’il faudrait faire de la place pour son nouveau « moi » qui vient de naitre en marchant.
Pour ceux qui ont pèleriné jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle, vous avez certainement fait une courte halte dans O’Cebreiro pour y lire la prière de La Faba. Cette prière qui nous rappelle que pour bénéficier pleinement des apprentissages effectués sur le chemin, il faut savoir continuer à être « pèlerin » qu’il y ait des flèches jaunes sur notre route ou non. Être pèlerin est une façon d’être à la vie. Cette prière est une invitation à perpétuer et à répéter ce que nous avons aimé vivre sur le chemin. Il reste alors 150 km au pèlerin avant d’arriver au terme de son voyage. 150 km pour intégrer les apprentissages du chemin et penser au retour à la maison. Au bout de la route, de cette longue marche qui a permis de faire le vide de tout ce qui encombrait nos pensées et de tout ce qui accaparait notre temps habituellement, le pèlerin découvre caché en lui celui qu’il est réellement, celui qu’il désire continuer d’être. C’est pourquoi il est essentiel de planifier le retour afin de ne pas laisser la routine et les éléments du passé reprendre le contrôle de la vie.
Tout comme la jeune mère qui rentre dans la maison avec son enfant dans les bras, réalise que son monde vient subitement de basculer, que désormais plusieurs choses vont changer, le pèlerin doit prendre conscience en mettant la clé dans la porte d’entrée que cette porte s’ouvrira sur un nouveau chapitre de vie : « Cherchons comme cherchent ceux qui doivent trouver et trouvons comme trouvent ceux qui doivent chercher encore. Car il est écrit : celui qui est arrivé au terme ne fait que commencer. » (Saint Augustin). Le chemin n’est qu’un premier pas.
Brigitte Harouni