Noël dans l’auberge espagnole
Nous nous rencontrons maintes et maintes fois
sous mille déguisements sur les chemins de la vie.
Carl Gustav Jung
À l’origine, l’expression « auberge espagnole » désignait une auberge où l’on n’y trouvait que ce que l’on y avait apporté. Fréquenter l’auberge espagnole sous-entendait donc que si l’on voulait faire ripaille, valait mieux y penser et apporter ses propres victuailles!
Avec les années, l’expression ayant raison, les gens en sont venus à y débarquer les bras chargés, apportant avec eux de quoi festoyer. C’est cette dernière image que nous avons conservée…
Aujourd’hui, pour celui ou celle qui a fréquenté les auberges espagnoles, sur la route de Compostelle, ou encore, parce qu’elles y ressemblent tellement, toutes ces auberges de jeunesse en divers points du globe; celui-là, celle-là, pourra vous raconter l’atmosphère cordiale qui y règne et combien le pèlerin a su tirer profit de ce lieu, le transformant de fond en comble, pour en faire un espace de plaisirs et de réjouissances. Soir après soir, le pèlerin refait son nid…
À l’auberge espagnole, chacun y arrive comme s’il allait visiter de la parenté. Le sourire aux lèvres, le cœur sur la main, animé par le plaisir des retrouvailles, forgé par chacun de ses pas, le pèlerin s’avance avec confiance, le regard fatigué par la route mais brillant. Dépouillé par le chemin de ses surplus, ne conservant que l’essentiel, il entre dans l’auberge, conscient de ses propres pauvretés. Ayant fait le ménage de son ego, ayant libéré son sac de vie, en même temps que son sac à dos, il est maintenant capable de percevoir en l’autre un semblable : un être aimant, riant, souffrant, tout comme lui. Un grand ménage qui l’emplit de compassion et qui lui permet de percevoir en ce pèlerin, un potentiel reflet de lui-même. En l’autre, il se reconnaît avec ses forces et ses faiblesses. « J’ai mille visages! », se dit-il intérieurement.
Riche de ce dépouillement, le pèlerin entre dans l’auberge avec les yeux d’un Don Quichotte. Rempli de reconnaissance et de félicité, il transforme ce qui pourrait paraître miséreux en un magnifique festin, ce modeste gîte en un splendide « castillo ».
Puis, une fois la table mise, alors que les plats apportés se mettent à circuler, il s’empare de ce contenant pour en faire un tambourin, de cette cuillère pour rythmer. En soufflant sur cette bouteille, il s’amuse à en tirer quelques notes. Puis, rapidement, d’autres instruments apparaissent et s’ajoutent. On rit, les regards brillent, et au milieu de cette joyeuse cacophonie, une voix s’élève, puis une deuxième, puis une autre, le chant devenant leur cri de ralliement. Autour de cette tablée, dans ce chant, ce verre de vin, ce bout de pain partagé, c’est lui-même que le pèlerin offre en partage.
Le pèlerin s’offre avec générosité!
En ce temps de Noël, au moment le plus sombre de l’année, en ce temps d’austérité annoncée (…), il serait bon de se laisser interpeler par l’expérience de l’auberge espagnole. C’est au cœur de ce type d’événement que l’être humain tire souvent le meilleur de lui-même. Et si cette période n’était qu’une occasion pour s’extirper de tous ces excès? Passer de l’avoir à l’être? Renouer avec les plaisirs simples? Le plaisir d’être ensemble et de s’offrir sans attente? Faire de l’auberge espagnole un modèle pour nos maisons? Tout le Québec a connu ces maisonnées bien remplies, ces longues tablées où il suffisait d’ajouter quelques pommes de terre pour qu’il y en ait assez! Tout le monde se souvient! Il n’en tient qu’à nous de faire revivre ces moments!
À quelques jours de cette grande fête, c’est ce que nous nous apprêtons à vivre Brigitte et moi. L’espace de quelques jours, la maison de Bottes et Vélo deviendra auberge espagnole et nous nous réjouissons à l’avance de tous ces gens qui entreront chez nous.
Pour Noël, nous vous souhaitons à vous aussi d’avoir la chance de vivre la chaleur et la spontanéité d’une auberge espagnole!
Éric Laliberté