Se taire pour entendre
Je me suis rendu compte que j’avais de moins en moins de choses à dire, jusqu’au moment où,
finalement, je me suis tu. Dans le silence, j’ai découvert la voix de Dieu.
Sören Kierkegaard
J’ai la chance, en ce moment, d’expérimenter, avec des adolescents de la région, des journées de silence. Il s’agit de leur offrir un moment privilégié pour se retrouver en présence de soi-même, en présence de ce qui nous dépasse, de ce qui nous transcende.
Qui aurait cru que des jeunes de 12 à 17 ans puissent être interpellés par une telle expérience! C’est pourtant un truc qui les rejoint dans leur quotidien et, en ce moment, mon calendrier de journées de silence affiche complet. Questionnant que ce désir de silence, alors que la norme se situe davantage du côté du bruit et de l’agitation…
Pour vivre ce moment, la communauté religieuse du village nous prête une de ses maisons de retraite. Le décor est parfait. Il a neigé une partie de la nuit et la neige enveloppe tout ce qui nous entoure d’un soupir. L’intérieur est chaud et chaleureux comme ces maisons de grands-mères. Dès qu’on y entre, l’ambiance invite à se laisser bercer par le silence. On n’y entend que le cliquetis de l’horloge et le ronronnement du frigo.
Pour vivre cette journée, chacun a son espace. Je prends le temps de leur faire visiter les lieux et les laisse choisir la pièce qui sera leur cocon pour la journée. Quand tout le monde a fait son choix, on se rassemble dans la cuisine et je leur explique le déroulement de la journée : de courts exercices au début, puis des exercices de plus en plus longs; chacun sera suivi d’un retour en grand groupe pour échanger sur l’expérience. L’objectif de la journée : aiguiser notre conscience. Tout le monde est à l’aise avec la formule, alors on se lance pour un premier quinze minutes.
On s’installe confortablement sur de gros fauteuils, en cercle. Pour débuter, je les guide dans une méditation qui vise à prendre conscience des tensions présentes dans leur corps. Lentement, par des respirations, par des visualisations et en les invitant à se repositionner, la détente s’installe. Je les laisse savourer ce moment de bien-être. À la fin de ces quinze minutes, lors de la discussion en grand groupe, tout le monde me dit être heureux de cette première expérience. Bien entendu, ils n’y sont pas complètement à l’aise, l’espace leur est un peu étranger, mais ils le goûtent avec plaisir et curiosité. Alors on remet ça pour un autre quinze minutes. Cette fois-ci, conscience de ce qui m’entoure. On y va lentement, il ne faut rien brusquer. Le silence s’apprivoise.
Après ces exercices, je les laisse filer par eux-mêmes pour des périodes plus longues : 30 minutes, 60 minutes, puis… 120 minutes! Les jeunes respectent ce silence avec une telle ferveur que j’ai l’impression de les déranger chaque fois que je les interromps pour un retour en groupe. Cependant, je ne peux que le constater : habiter cet espace leur fait du bien! Une des jeunes filles me partage à l’heure du repas : « On a toujours du bruit autour de nous. Pouvoir faire le vide, n’avoir rien à penser, ça fait du bien. »
Le silence fait du bien! Le vide qu’il fait en nous est bon. Le corps et la tête se désengorgent de toute cette agitation, de toutes ces pensées parasitaires. Laisser de la place au silence, c’est se laisser de la place pour être. Sans attente, sans précipitation, simplement présent à l’instant, en contact avec la vie.
Écouter le silence, c’est comme regarder l’herbe grandir : il faut prendre son temps.
On ne peut presser le silence, il demande du temps pour être goûter pleinement.
Et faire l’expérience du silence, ne cadre pas toujours avec notre rythme de vie…
L’apprivoiser demandera alors un effort. Il demandera de briser notre routine.
Le pèlerinage offre aussi cet espace privilégié. Cette expérience du silence, le pèlerin qui le désire aura l’occasion de la faire jour après jour. Celui qui s’en donnera la peine, celui qui aura le courage de vivre sans ses écouteurs sur les oreilles, fera une expérience toute autre du chemin : il apprendra à marcher avec lui-même.
Car, le silence n’est pas absence, il est présence. Présence à ce qui cherche à se dire.
Le silence, c’est l’espace pour entendre cette voix qui murmure en moi.
Éric Laliberté