Marcher vers sa vérité, marcher à la rencontre de soi.
En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas.
Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir
qu’il nous voit bien différent de ce que nous croyons être.
Carl Gustav Jung
En ce moment avec mes élèves du primaire, des enfants de 9 à 12 ans, nous discutons de la valeur d’une personne. Qu’est-ce qui fait qu’une personne a de la valeur? Ils en sont arrivés à la conclusion qu’une personne a de la valeur parce qu’elle est importante à nos yeux, pour ses qualités, pour ce qu’elle apporte dans notre vie, la manière dont elle nous aide à grandir… Cependant, lorsque j’ai inversé la question et leur ai demandé ce qui faisait qu’ils avaient de la valeur, il leur est devenu plus difficile de répondre…
Nous sommes tous un peu comme ça. Lorsqu’il s’agit de nous accorder un peu de reconnaissance et d’être fier de nous, nous nous dérobons. Néanmoins, à force de questionner et de chercher, ils ont fini par nommer des choses bien précises : des qualités, des talents qui les distinguent, ce qui les rend précieux à leurs propres yeux. Et c’est ça qui est merveilleux!
Le pèlerinage est une expérience qui nous permet d’oser ce regard sur soi. La solitude de l’exercice nous plonge dans nos profondeurs à la recherche d’une certaine forme de vérité à notre sujet. Une vérité qui se logerait quelque part en nous et que nous cherchons à force de questionnement : Que suis-je devenu? Suis-je satisfait du chemin parcouru? Ai-je été à la hauteur de mes espérances, de mes ambitions, de mes rêves? Ai-je été réellement celui ou celle que je suis appelé à être? Ces questions surgissent au fil des jours, nous prenant parfois par surprise au détour d’une route; nous ébranlant là où l’on ne s’y attendait pas, alors que l’on regardait ces enfants jouer dans un parc…
Le pèlerinage est une expérience de soi, de tout notre être, dans un contexte différent. Une expérience qui mène à une rencontre avec soi-même en l’absence des normes sociales usuelles qui nous campent dans des rôles bien particuliers, nous situant hors des obligations et des conditionnements reçus. Le pèlerinage nous amène à prendre du recul face à toutes ces choses que nous avions crues immuables et qui ont pu orienter notre marche jusqu’à ce jour. Par sa durée, il nous amène à faire des choix, des choix qui modifient le parcours habituel de nos vies. Lors d’un pèlerinage, nous nous expérimentons de manière différente…
Je me souviens, lors de mon premier Compostelle, d’avoir cédé à l’inquiétude de la rumeur qui faisait courir qu’il n’y avait plus de place suffisante pour dormir. Je me souviens de m’être pressé au point de me blesser pour me rassurer. Après quelques jours, j’ai bien compris que la rumeur n’était pas fondée et qu’elle n’était que le résultat de nos peurs, de notre difficulté à accepter une certaine perte de contrôle… J’ai alors choisi de prendre soin de moi et de ne plus céder au mouvement de foule. Mes pieds me faisant atrocement souffrir d’avoir maintenu ce rythme, j’ai décidé de faire confiance. J’ai décidé de faire confiance parce que chaque jour m’avait enseigné que je pouvais faire confiance. Je n’avais pas toujours l’hébergement voulu, le lit voulu, mais j’avais ce qui convenait. Et dans l’abandon à cette confiance, dans cette ouverture, j’ai pu découvrir que la vie me réservait de belles surprises : des rencontres extraordinaires, des moments inoubliables, des lieux enchanteurs.
Lors de ce même Compostelle, j’ai également découvert que je pouvais choisir de m’entourer de gens avec qui je me sentais bien. Que je n’étais pas obligé, par gentillesse, de me taper celui ou celle qui avait envie de se répandre en lamentations, ou encore qui parlait sans cesse alors que j’avais besoin de silence. Lors de ce pèlerinage, j’ai appris à poser des limites claires pour ne plus me laisser envahir. Même par celui ou celle qui souffre d’un surplus d’optimisme et vous casse les oreilles à vouloir « trop » vous encourager, croyant tout le monde sur le point d’abandonner. J’ai appris que, bien souvent, par ces comportements, celui ou celle qui les adopte cherche davantage à se rassurer.
Plus loin, sur cette même route, j’ai pris conscience de combien il était facile de se laisser prendre au jeu de la performance et de la compétitivité. Combien il nous est facile de succomber au moindre commentaire relevant une certaine faiblesse dans notre « style », dans notre rythme. Combien il nous est facile de nous comparer et de porter un jugement sur notre « rendement ». Pourtant, le chemin nous enseigne qu’il n’y a rien à prouver. Le but n’étant pas d’être arrivé, mais de vivre le chemin, d’y être présent, chacun selon la saveur de vie qui nous habite. Lors de mon deuxième Compostelle, je me suis fait un point d’honneur de m’arrêter à chaque ruisseau que je croisais. Dans l’herbe verte, je déposais mon sac puis retirais mes bottes. Cherchant la pierre qui convenait, je m’y asseyais et plongeais mes pieds dans l’eau fraîche pour en goûter tous les bienfaits. Je vous l’écris et je revois encore ces moments que je vivais avec délice. Je revois la scène et j’en ressens encore tout le plaisir. Quelle puissance, quelle portée, dans un geste aussi simple!
Aujourd’hui, après plusieurs milliers de kilomètres, à bottes ou à vélo, je réalise qu’en prenant soin d’être attentif à mon bien-être, ce n’était pas seulement mon corps qui se portait mieux, mais toute l’expérience du chemin qui s’en trouvait transformé : les petits bonheurs que j’éprouvais avaient quelque chose de durable. Le soleil, les odeurs, les petits fruits cueillis sur le bord de la route, le café pris sur cette terrasse, la sieste au pied de cet arbre, tous ces gestes me parlent de moi et du plaisir que j’éprouve à être en vie, à ressentir la vie. Ces sentiments m’habitent encore.
Vivre l’expérience du pèlerinage permet cette présence à soi-même et redonne à la vie toute sa saveur. La vie goûte bon lorsqu’on prend le temps de la savourer! Un goût que l’on prend plaisir à partager. Et c’est toute notre manière d’être au monde qui s’en trouve transformée! Ayant pris du temps pour moi, ayant su m’apprécier, m’étant réapproprié mon espace, je suis plus conscient de ce qui m’habite et encore plus à même de m’ouvrir avec confiance et vérité.
Éric Laliberté