Vivre avec peu, vivre plus léger!
C’est une vérité à laquelle nous renvoie le pèlerinage : vivre avec peu, c’est vivre plus léger! Et un certain bonheur s’en suit qui n’a rien à voir avec ce que propose notre culture de consommation nord-américaine! Au fil de nos pérégrinations, le poids de notre sac à dos en vient toujours à nous sembler bien lourd et ce n’est pas pour rien qu’il nous remet sans cesse en question…
Mais, de quoi avons-nous tant besoin? Cette simple question, ce simple exercice, pratiqué régulièrement, nous ramène lentement au simple nécessaire et nous met face à l’évidence : nos besoins réels n’ont rien de fastidieux! Alors, pourquoi encombrons-nous nos vies d’autant de choses? Qu’est-ce que tout cela justifie? Serait-ce réellement pour des raisons de confort? On dirait que celui-ci n’a plus de limite! À force de tout vouloir satisfaire, serions-nous devenus de perpétuels insatisfaits qui se gavent? Qu’est-ce qui se cache derrière tous ces objets, toutes ces possessions? Est-ce simplement un agir compulsif qui ferait maintenant figure de norme sociale? Est-il devenu tout simplement normal de consacrer sa vie à consommer?
La consommation est devenue un art sournois, une science sophistiquée. Elle se cache partout et nous tient dans ses filets. Vous achetez bio? Dites-vous bien que si nous le faisons, c’est davantage pour ce que cela dit de nous que pour la qualité de ce que nous achetons. Acheter est devenu une manière de vivre qui donne un sens à nos vies. Acheter est devenu une culture! Nous achetons plus souvent qu’autrement une reconnaissance sociale, et nous consacrons la meilleure partie de nos journées à nous échiner pour cette récompense. On court les spéciaux, on cherche les aubaines avec fierté. Pendant qu’à l’autre extrême certains se pavanent avec le plus dispendieux, le plus luxueux, comme si toute cette agitation était devenue une activité normale, la seule qui prenait sens dans nos vies. Des ânes qui courent derrière leur carotte, voilà ce que nous sommes devenus!
Mes questions, et mon indignation, sont sans limite face à ces comportements. (Et pourtant je ne suis pas un modèle de vertu dans ce domaine! Je me laisse souvent prendre à ce manège.) Je vous lance ces questions tout en vrac, sans y apporter de réponse, mais seulement pour mettre en lumière tout un pan de nos vies qui semble devenu le seul qui fasse sens : l’achat. Un objectif social qui alourdit grandement nos sacs de vie. Qui rend la gratuité suspecte ou même médiocre. Nous avons enclenché un cercle tellement vicieux entre travail, argent, consommation, estime de soi et appartenance, un cercle qui tourne à toute allure, que nous ne prenons plus le temps de le remettre en question. Il est devenu plus ardu de s’arrêter de courir après le train, que de le laisser filer!!!!
Vivre avec peu, vivre plus léger. Cette leçon de pèlerinage aurait quel impact dans ma vie si je m’y arrêtais? Quel bénéfice en tirer? Quelle allure prendrait ce « peu », cette « légèreté », concrètement? Les bénéfices, le pèlerin les connait. Il les éprouve chaque jour de sa marche. Chaque jour, il se les approprie un peu plus.
Cependant, sur le chemin, c’est plus facile, les conditions s’y prêtent bien et nous oblige à revenir à nous-mêmes. Notre corps nous rappelle à l’ordre et la marche nous amène à vivre en marge de ce mode de vie. Et c’est là le premier pas à faire au retour : apprendre à se retirer de cette culture de consommation en prenant conscience des pièges qu’elle nous tend! Et le plus grand est celui tendu par la relation emploi-plaisir. Les trop nombreuses heures passées au travail à performer, produire, briller, nous laisse peu de temps pour prendre plaisir à vivre. On veut vivre quelque chose rapidement qui nous fasse sentir que tout ce travail en vaut la peine. Le bonheur doit alors être instantané, l’expérience rapide, car nous n’avons pas beaucoup de temps pour les goûter.
La lenteur, prendre le temps, est pourtant le secret de cette aventure. Un anthropologue de l’Université de Chicago, Marshall Sahlins, en est arrivé à la conclusion que l’être humain de toute son histoire n’avait que très récemment passé autant de temps à travailler. En général, l’être humain aurait consacré à se loger, nourrir, vêtir, chauffer et éclairer une moyenne de vingt-cinq heures par semaine. Le reste de son temps, il l’employait à vivre tout simplement : pratiquer un sport qu’il aimait, développer un art, expérimenter, faire des découvertes, contempler, s’amuser. Il avait l’esprit libre pour explorer. Après une journée de fou au bureau, on n’a pas vraiment le goût de réfléchir sur notre condition de vie. On veut que ce soit agréable maintenant, relaxer, se changer les idées.
Cependant, si on prenait le temps de s’arrêter, de s’extirper de ce rythme, de reconsidérer notre emploi du temps, de ralentir, on verrait tout le bien que nous pourrions en retirer. L’esprit libéré de toutes les préoccupations engendrées par notre culture de consommation permet de réfléchir; de s’observer et discerner ce qui est bon pour soi, ce à quoi nous aspirons réellement. Autrement, nous ne faisons que filer à toute allure. Nous filons pour filer, la vitesse pour la vitesse, sans raison, sans besoin, et avec tout ce qu’elle engendre comme désordre. Retrouver ce temps perdu à courir dans l’illusion d’une obligation, se libérer l’esprit, retrouver cet espace pour soi, se connecter à soi, c’est réduire notre niveau de stress en découvrant un rythme de vie différent. Le calme éprouvé par ce virage intégré dans nos vies aura un effet domino qui entraînera une multitude de bienfaits dans tout notre corps : santé, énergie, présence d’esprit, humeur, un bien-être généralisé. Une qualité de vie qui n’a pas de prix, puisqu’elle est gratuite, et demande, énergétiquement parlant, beaucoup moins d’effort que notre mode de vie actuel pour atteindre ce sentiment qui, finalement, ne s’apparente plus à une course au bonheur, mais simplement à un état de plénitude : se sentir bien.
Bien entendu, tout ceci peut vous sembler bien beau, bien simple sur papier, mais détrompez-vous : ça l’est aussi en réalité! Le plus difficile sera de faire le choix de quitter cette manière de vivre, de délaisser tout ce matériel et de faire le saut concrètement, pour en arriver à se laisser habiter par cet élan de vie; pour goûter et savourer cette vie nouvelle et satisfaisante, sachant très bien qu’elle nous mène sur notre chemin.
Il y aura bientôt 10 ans que j’ai fait le choix de me lancer sur cette voie et, bien que certains jours soient très confrontants, je ne le regrette pas. Je ne travaille plus à temps plein (3 ou 4 jours/semaine), je profite de mes journées pour écrire, goûter les saisons, cuisiner, marcher, faire du vélo, voyager, animer ma créativité, faire un retour aux études ou simplement être présent à la Vie qui m’englobe de toute sa lenteur. Il en ressort que la douceur de ces journées me satisfait pleinement. L’état éprouvé m’incite avec plaisir à reprendre sur mes épaules mon sac de vie, car il est léger!, et de poursuivre sur cette voie. Ainsi, chaque jour, j’avance faisant un peu plus de lumière en moi, de vérité en moi. C’est ce qui est bon et rend ma vie satisfaisante.
Éric Laliberté