Un Compostelle québécois ?
Les seuls chemins qui valent d’être empruntés sont ceux qui mènent à l’intérieur.
Charles Juliet
Ces dernières années, l’expression «Compostelle québécois» est fréquemment employée. Ceci porte à croire qu’il existe donc une version comparable du chemin de Compostelle espagnol au Québec. Cet été, nous avons parcouru un chemin en bottes et à vélo, dans le but de faire fleurir les joies du pèlerinage au Québec. Mais avons-nous fait « un Compostelle»? Cette formulation m’a poussée à comparer ces deux parcours durant presque tout mon trajet.
Durant la partie « vélo» la recherche de comparaison était moins présente car le mode de transport étant très différent, la vie sur le chemin se comparait difficilement. Par contre, dès les premiers pas sur le chemin gaspésien, mon cerveau logico-mathématique s’est mis à tourner et retourner la question car tous les ingrédients nécessaires pour faire un parallèle étaient présents.
Tout d’abord les ressemblances : dans les deux cas, le pèlerin porte un bagage semblable, les températures de la Gaspésie se rapprochant de celle que nous retrouvons dans les montagnes d’Espagne. Et Bien que nous ayons transporté notre matériel de base pour camper, tout le voyage peut aisément se faire en hébergement. La route est également semblable, car pour les deux parcours elle traverse régulièrement des petits villages, parfois bien développés et parfois plus dépouillés. Et voilà! C’en est tout pour ce qui est des ressemblances !
Bien que les deux soient des pèlerinages, on se rend rapidement à l’évidence que la comparaison est impossible et inutile, les deux offrant des plaisirs fort différents au marcheur.
Marcher la Gaspésie, c’est suivre le fleuve, puis la mer, durant des kilomètres. C’est marcher le visage caressé par le vent frais du large et respirer l’air parfumé d’iode et d’algues. C’est pouvoir s’arrêter à tout moment sur un tronc d’arbre rejeté par la mer ou sur un rocher bien arrondi, pour profiter du silence et du calme, enlever ses bottes et se rafraichir dans l’eau salée. On est loin des plaines chaudes de la Meseta et des champs de blé ou encore des odeurs de ferme de la Galice. Les paysages espagnols nous enivrent la vue avec les vignobles, les champs de tournesols et les collines verdoyantes parsemées de coquelicots. Les haltes sont plus souvent dans de petits villages de pierre, sur une coquettes terrasse ou dans un petit parc.
Marcher la Gaspésie, c’est vivre seul sur le chemin car la route n’est pas encore fréquentée par les pèlerins. Les villageois sont encore sensibles à la démarche du pèlerin et sont charitables, généreux, serviables et accueillants. Nombreux sont ceux qui viennent nous parler et nous encourager. Il est agréable de partager un bout de vie avec chacun, d’apprendre à les connaître et à vivre avec eux un moment de Gaspésie. En Espagne, nombreux sont les marcheurs sur la route, et rares sont les échanges avec les résidents locaux. Nous avons plutôt tendance à nous retrouver avec d’autres pèlerins. Nous partageons ensemble les repas, les hébergements et parfois aussi un bout de route. Il se crée ainsi une vie sociale qui suit la route et qui lui donne une belle couleur.
Marcher la Gaspésie c’est aussi marcher le long de la seule route qui en traverse les villages côtiers. Au début de la Gaspésie, elle est plutôt achalandée. Mais il est possible sur plus de la moitié du trajet de marcher loin de celle-ci : en passant par la plage qui est large et dont le sable est bien tassé, en passant sur les petites routes qui entrent dans chaque village, ou en marchant sur les sentiers aménagés. Ce chemin qui longe le fleuve a l’avantage d’être doux pour les pieds et pour les genoux car le pèlerin marche généralement dans du sable, sur du gazon ou sur de la poussière de roche. Sur le chemin espagnol, la voie est facile à suivre, clairement balisée par les flèches jaunes et par le passage de milliers de pieds après tant d’années. Le pèlerin est souvent sur des sentiers, loin du trafic, à travers champs et montagnes, et parfois sur le bord de routes asphaltées aux abords des villages et des villes. Mais ces beaux sentiers pittoresques sont exigeants physiquement et il nous faut une bonne botte et une bonne semelle pour les parcourir.
Les comparaisons et les différences sont nombreuses : terre-mer, fruit-poisson, ocre-bleu, chaud-frais, international-local, vers l’ouest-vers l’est, populeux-solitaire, historique-écologique,… Le Québec ne sera jamais l’Espagne. La Voie du St-Laurent ne sera jamais Compostelle. Chaque pèlerinage a une couleur bien à lui et offre au pèlerin un décor extérieur propice à l’émergence et au développement de son chemin intérieur, car finalement, dans les deux cas, l’essentiel est la route que chacun fera en lui.
Brigitte Harouni