La Voie du St-Laurent (jour 23) – Comme une envolée de sauterelles
Lorsque l’on passe a vélo, il y a de ces choses que l’on ne remarque pas, comme ces envolées de sauterelles. En marchant le long de la route, près des hautes herbes, à chaque pas que nous faisons une nuée de sauterelles s’envole et se pose un peu plus loin. À chaque pas, elles se donnent des allures de papillons et vont se poser un peu loin devant nous. Et dès que nous arrivons, elles s’envolent à nouveau…Ça n’arrête pas! Tout bouge continuellement!
Depuis que nous avons commencé à marcher, nous sommes plus fatigués. La marche est plus exigeante que le vélo. Tout notre corps est continuellement sollicité. En vélo, nous n’avions aucun poids à porter sur nos épaules et il y avait toujours un moment où l’on pouvait se laisser aller dans une descente. La marche ne donne pas ce genre de répit. À pied, je continue de marcher en montant, tout comme en descendant. Et parfois, les descentes peuvent être assez dures sur les genoux… Le seul moyen de s’offrir une pause est de décider de s’arrêter. Mais, si je m’arrête, je n’avance plus… La marche est très différente en tant qu’effort à fournir. Elle sollicite des muscles différents et tient le corps en action continuellement. C’est pourtant dans cet effort constant qu’elle a beaucoup à enseigner.
L’outil incite à faire toujours plus, plus vite. C’est l’outil qui a toujours contribué à augmenter la tâche. Plutôt que de voir en l’outil un moyen de se libérer du temps, nous avons augmenté la capacité de production par appât du gain. Cette manière de faire, nous l’avons transposée dans plusieurs domaines de la vie et même l’exercice physique a pris cette allure…
Il faut bien comprendre que ce n’est pas l’outil qui est mauvais, mais l’utilisation que nous en faisons. Nous avons un emploi qui offre un meilleur salaire et prend une grande part de notre temps, mais nous compensons en achetant ce dont nous prive ce manque de temps. Nous n’avons pas le temps de cuisiner, alors nous mangeons au restaurant. Pas le temps de relaxer, on se paye un voyage dans le sud. Avant, nous allions travailler à pied. Maintenant, nous y allions en voiture et nous nous inscrivons au centre de conditionnement physique en soirée… Et nous trouvons normal d’augmenter le rythme ainsi jour après jour. Nous trouverons même paresseux celui qui n’en fera pas autant! Mais ce rythme d’enfer n’est que très récent dans l’histoire de l’humanité. Encore plusieurs pays n’ouvrent pas leurs commerces le dimanche et s’offrent de longues heures de dîner… Le travail n’est pas le centre de leur vie. Compétition et performance ne sont pas des priorités. On oublie trop souvent que la vie se construit avec persévérance et endurance. Un travail qui s’effectue dans la durée et la lenteur… Le travail vise à entretenir la vie, la susciter, pas l’épuiser.
Le passage du vélo à la marche nous permet de voir cette différence. L’absence d’outil pouraccomplir la tâche oblige à une meilleure présence à soi. On se doit de respecter la capacité de notre corps. Il nous oblige à des temps d’arrêt plus fréquents et ces temps d’arrêt permettent un mieux-vivre. Ils permettent de se lier d’amitié avec notre corps et de le traiter avec bonté. Plutôt que de le percevoir comme un outil qui ne performe pas autant qu’on le voudrait, considérons-le comme l’ami qui nous porte et prenons en soin.
La marche nous a permis de voir ces envolées de sauterelles que nous n’avions jamais remarquées à vélo. La marche nous a fait rencontrer des gens d’une grande bonté. Des gens avec qui nous n’aurions pas pris le temps autrement. Le vélo était trop rapide… Par leur attitude, nous avons pu voir que le cycliste n’est pas perçu de la même manière que le pèlerin. Les gens viennent au devant de nous, nous offrent de l’eau, à manger, s’informent de notre état, s’intéressent à notre aventure. La marche offre cette proximité de par sa lenteur. Il est facile d’interpeller le marcheur. Le cycliste? Il est déjà passé. La marche a donc permis ces belles rencontres mais, elle nous a aussi fait descendre sur cette plage et profiter de son sable chaud. Plus loin, elle nous a permis d’avoir le temps de remarquer que, sur ce rocher, dans la mer, quelque chose bougeait. Nous avons alors quitté notre route, cessé notre activité, pour voir ce que c’était. Ce fut pour nous l’occasion d’approcher une maman phoque et son petit…
La marche permet cette présence à la vie qui nous entoure. Un monde qui passe souvent inaperçu à force de vouloir tout faire trop vite. Et le soir venu, je n’ai nul besoin d’aller m’entraîner. 😉
Éric Laliberté