Les états du pèlerin
Ce que nous accomplissons à l’intérieur modifie la réalité extérieure.
Otto Rank
Nous nous préparons à partir. Comme vous le savez, nous n’en sommes pas à notre première expérience. Pourtant, chaque fois que nous reprenons la route, les états du pèlerin me reviennent en tête. Je sais ce qui nous attend! J’anticipe ces états dans un mélange de joie et de crainte. Je sais que nous ferons un voyage magnifique. Un voyage qui nous réserve son lot de surprises et de rencontres inoubliables. Mais, je sais aussi que ce sera difficile. Que certains jours j’aurai envie de tout abandonner. Que je serai une fois de plus déstabilisé, extrait de ma zone de confort pour me reconstruire autrement. Les chamans vous diraient que le pèlerinage ressemble à une expérience de « démembrement », un voyage intérieur au cours duquel le corps est détruit puis reconstruit. À travers ce démembrement, l’ego se dissout. C’est un peu mourir à soi-même. Cesser de se croire si important… Le pèlerinage nous fait vivre ce passage, cette traversée. Les athlètes de haut niveau ou adeptes de long trekking vous diraient rompre le corps, rompre ses résistances, pour atteindre cet espace en soi, toucher cette dimension qui nous met en contact avec le réel d’une manière totalement différente, plus lucide. Une manière qui relativise bon nombre de nos habitudes de vie, de nos nécessités, de nos dépendances …
Au cours de ce long périple, sept grandes rencontres nous attendent. Des rencontres qui invitent à un éveil de la conscience :
1) L’appel : La première rencontre, celle qui nous met en route. Il s’agit de cette petite voix intérieure que l’on se prend à écouter tout à coup et qui nous provoque à prendre la route. Cette parole intérieure peut être induite par un profond malaise/mal-être, ou encore, par un profond désir de s’ouvrir à une expérience nouvelle. Comme un appel à accomplir une mission personnelle. Cet appel, ou ce signal d’alarme, se fera de plus en plus intense jusqu’à ce qu’on ne puisse plus y résister. C’est alors que nous passerons à l’action : nous nous mettrons en route.
2) La déstabilisation : Sur la route, extrait de notre routine, nous vivrons la déstabilisation. À travers la perte des repères quotidiens, nous ressentirons une insécurité plus ou moins intense selon chacun. Les besoins de base prendront alors une plus grande importance et deviendront prioritaires : Où vais-je dormir? Que vais-je manger? Est-ce que j’aurai suffisamment d’eau? Des questions qu’on ne se pose pas habituellement. C’est par cette déstabilisation que je prendrai conscience de mes craintes, de mes peurs.
3) La souffrance : La rencontre avec ma souffrance, autant physique que spirituelle, viendra de la prise de conscience de mes peurs. Me mettre à l’écoute de cette souffrance m’apprendra à baliser mon bonheur. Lors d’un pèlerinage, nos souffrances physiques viennent souvent de la perception que nous entretenons de nous-mêmes ou de l’image que nous désirons projeter. Par exemple, certains pèlerins, à vouloir trop performer, ou par esprit de compétitivité, en viennent à se blesser. La rencontre avec notre propre souffrance nous apprend donc l’importance d’être attentif aux signes de notre corps. Ces blessures en disent souvent long sur notre état d’esprit. À notre époque, nous avons tendance à anesthésier la douleur pour repousser les limites de notre corps. En faisant cela, nous ne faisons qu’aggraver la situation. Rencontrer sa souffrance signifiera : ménager sa monture, apprendre à s’arrêter quand il le faut, apprendre à faire les choses à sa propre mesure.
4) Le lâcher-prise : La souffrance apprivoisée, nous serons à même de faire la rencontre avec le lâcher-prise. Une rencontre qui nous permettra de laisser aller ce qui nous retenait dans cette souffrance. Pendant cette période, le parallèle se fera souvent avec notre sac à dos et son contenu : Qu’est-ce qui me pèse si lourd? À quelles idées, perceptions de moi-même, des autres suis-je accroché? Quelles obligations? Quel deuil est-ce que je refuse de faire? Lentement, notre conscience s’éveille et nous arrivons à nous défaire de ces poids que nous portons. Lentement, notre sac de vie s’allège.
5) La confiance : Le cœur plus léger, je pourrai accueillir la confiance : en soi, en l’autre, en ce chemin que je choisis. Une confiance qui grandira et me rassurera les jours difficiles. Une confiance qui me permettra d’apprécier mon chemin et de m’y sentir bien malgré l’absence de ce qui m’était précieux. Découvrir que ce précieux n’était finalement pas essentiel à ma vie…
6) L’intériorisation : La rencontre avec soi. L’état de confiance dans lequel j’avance permet cette descente en soi de manière paisible. C’est la capacité de contemplation qui s’approfondit. Une sensibilité différente. Un état de béatitude qui se fait sentir à fleur de peau et qui pourtant semble jaillir du plus profond de soi-même. C’est dans cet espace que je peux trouver la force d’aller au-delà des limites que je m’étais fixées, de briser les règles qui étouffent ma vie.
7) L’engagement : le moment venu, cette rencontre se fera avec une évidence toute simple. Tout menait à cet instant d’engagement. Un engagement envers soi-même, un engagement à être vivant, un engagement à poursuivre la route avec conviction.
Ces rencontres sont les grandes lignes de la démarche du pèlerin élaborée par Bottes et Vélo. Lors d’un pèlerinage de longue randonnée, ces rencontres se feront généralement au cours des 10 premiers jours. Par la suite, elles continueront de nous habiter et de se préciser. Cependant, c’est à la fin de cette période de 10 jours, lors de l’engagement, que le pèlerin arrive à un moment charnière de l’expérience. Quelque chose de particulier se produit, un ressenti puissant. Il nous semble alors entrer pleinement dans le pèlerinage, que l’expérience s’abreuve d’une énergie nouvelle.
Dans cette poursuite du pèlerinage, nous prendrons conscience de notre rapport au temps. Nous oserons ce que nous n’aurions peut-être jamais osé. Nous observerons nos souffrances des premiers jours avec un léger sourire. Nous comprendrons alors que nous ne pouvons planifier un pèlerinage, une vie, sur la connaissance que nous avons de nous-même en début de pèlerinage. Notre expérience parle : ces perceptions du début n‘étaient déjà plus valides au bout de quelques jours! Mon corps et mon esprit sont transformés jour après jour. Mon corps devient plus endurant. Mon esprit ne perçoit plus de la même façon. Je réalise qu’au mieux, nous ne pouvons planifier que l’œuvre du temps planifier que nous ne serons plus les mêmes, physiquement et spirituellement.
Éric Laliberté
Ayant faits bien des bouts de Chemins, en Espagne, en pleine confiance, indépendamment du dénivelé, ce qui m’arrête ici ce sont les moustiques, le manque d’eau ici et là, et devoir passer des nuits ou en camping ou dans des motels humides. Les étapes psychiques sont bien réelles, mais si en plus je dois me battre avec les maringouins, je prends l’avion et me bats avec les abeilles de Rabanal del Camino, le plus beau village au monde. Parlez-nous du quotidien ici, du terrain, pas du générique de la distance. Et buen camino! Bonne route!