Le pèlerinage de longue randonnée est-il accessible à tous?
Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait!
Mark Twain
Marcher 400, 600, 800 kilomètres; peut-être même plus! L’entreprise peut sembler irréaliste. Est-ce que c’est pour moi? Ai-je la capacité physique de faire un pèlerinage de longue randonnée? Ces questions, on se les pose tous avant notre départ. Pourtant, ce vieux proverbe devrait nous rassurer : « Ne regarde pas le sommet de la montagne, mais le pas que tu t’apprêtes à franchir. » Ce premier pas est le seul qui importe. C’est la démesure du projet qui nous fait douter. Ajoutez à cela un brin de crainte…, de manque de confiance…, la peur de souffrir aussi…
Sur les chemins de pèlerinage que nous avons parcourus, nous avons rencontré des personnes de tous âges et de toutes conditions. Je vous dirais bien de 7 à 77 ans, mais ce serait mentir… Il y en avait de bien plus vieilles!
Le pèlerinage est un chemin intergénérationnel, fréquenté par des gens aux états et conditions diverses. Des gens qui proviennent de tous les milieux. « Le pèlerin dans tous ses états », voilà ce que Bottes et Vélo tente de refléter du pèlerinage. Cette diversité humaine qui tisse la réalité du chemin est faite de fils de toutes les couleurs, de toutes les grosseurs et aux résistances différentes. Une diversité qui chemine, se laisse toucher, transformer. Peu importe l’âge ou l’état physique, c’est le désir de vivre l’expérience qui l’emporte.
Se lancer sur les routes d’un pèlerinage de longue randonnée demande une conscience éclairée de ses capacités et de son état de santé. C’est lorsque l’on se ment sur son propre compte que les blessures surviennent, que l’on abandonne. Conscient de vos capacités vous pourrez adapter votre pèlerinage à vos besoins. Avoir conscience de son corps et entretenir un rapport sain avec le temps seront des atouts majeurs pour bien vivre le projet. Il n’est pas nécessaire de marcher 30 ou 40 km par jour pour être pèlerin! Le pèlerin est celui qui s’est mis en marche avec tout son être : « corps et âme dans le temps ». Le pèlerinage oblige à une véritable incarnation. Beaucoup s’agitent dans tous les sens, ils ne sont pas pèlerins pour autant. Un proverbe arabe dit : « L’âne peut aller à la Mecque, il n’en reviendra pas pèlerin! » Alors prenez le temps de vivre l’expérience selon vos aptitudes. Certaines personnes marcheront 15, 10 ou 5 km et c’est bien suffisant. (Prenez note que je me réfère plus souvent à la marche qu’au vélo, mais que dans le contexte d’un pèlerinage à vélo les mêmes recommandations s’appliquent. Certains pèlerins à vélo feront de 100 à 200 km par jour, n’en faites pas une mesure à atteindre si pour vous 50 km est suffisant.) Retenez que le pèlerinage, en bottes ou à vélo, n’est pas une course. Au contraire, il permet un nouveau rapport au temps. Un temps naturel qui s’harmonise à nos capacités. Il ne vise pas non plus à faire vos preuves. Sur le chemin, il suffit d’être en route et d’accueillir le changement, d’accepter d’être déstabilisé dans nos repères quotidiens. La transformation se fera alors aisément, tout comme le papillon qui sort juste à point de son cocon. Nos rigidités devront être observées également. Nous avons souvent développé des rigidités qui font en sorte qu’il est devenu difficile d’avancer. Combien d’objets, d’idées, d’opinions, de perceptions auxquelles nous accrochons-nous? Si nous ne nous croyons pas à la hauteur d’un tel projet, c’est bien plus par le regard que nous portons sur nous-mêmes, par de fausses perceptions que nous entretenons.
S’il est bien une souffrance que le chemin appelle à se défaire c’est celle-ci : rompre avec ce regard inquisiteur que l’on porte sur soi. Se défaire de cet esprit comparatif qui m’évalue en fonction de l’autre; me défaire de cet esprit compétitif qui me juge selon mon rendement. Le pèlerinage ne se situe pas du tout dans ce registre.Sur les chemins de pèlerinage, nous avons rencontré des familles avec de jeunes enfants; des couples; des célibataires; des personnes âgées, seules ou en couple, en pleines formes, souffrant d’arthrite, de haute ou de basse pression, de problèmes cardiaques. Nous avons rencontrés des personnes amputées d’une jambe, des aveugles, des cancéreux, des sidéens et bien d’autres, souffrant de diverses maladies ou handicaps. Ce n’est pas ce qui les arrêtait, au contraire, c’est peut-être même ce qui les mettait en marche…
Pour se lancer dans un pèlerinage de longue randonnée, il suffit de ne pas s’illusionner sur ses capacités et d’être attentif aux signes de son corps, de bien planifier le projet, de se rassurer en somme.
J’ai beau être en bonne forme physique, avoir fait plusieurs pèlerinages de longue randonnée, il m’est arrivé de me blesser lors de certains voyages. La souffrance et les blessures ne sont pas inévitables. Nous pouvons cependant les limiter en étant attentif. Plus je suis attentif aux signes de mon corps, plus mon pèlerinage se déroulera bien d’un point de vue physique. Mon corps me guidera et m’incitera à faire les pauses au bon moment. Il me rendra attentif au frottement qui m’use lentement l’épaule et j’ajusterai les sangles de mon sac avant qu’il ne soit trop tard. Je n’ignorerai pas la douleur au genou, au pied ou à la hanche. Je ferai ce qu’il faut au bon moment et les souffrances physiques pourront être limitées. Je dis physique parce que même si le corps va bien et que l’on en prend soin, il y a des souffrances d’ordre spirituel qui ne pourront être évitées.
C’est le désir de s’intérioriser, de se recentrer, qui nous met en route. Pourtant, cette visite intérieure ne se fait pas sans heurt. Et la souffrance qui sera le plus à craindre est celle qui nous a fait sortir de nos chaussettes pour nous faire enfiler nos bottes, enfourcher notre vélo! Faire un pèlerinage de longue randonnée est souffrant parce que c’est sortir de sa zone de confort. Hors de nos repères quotidiens, le pèlerinage nous confronte à nos dépendances, même lorsque nous ne l’aurions pas cru. Et parfois nos dépendances sont si subtiles, que le chemin nous invite à creuser davantage en nous faisant faire toutes sortes détours. Inconsciemment, elles sont peut-être la raison pour laquelle nous nous lançons sur ce chemin…
Le pèlerinage de longue randonnée est comme un grand ménage de printemps. Il nous débarrasse du trop-plein – parfois bruyant, parfois inutile, parfois nuisible – de nos vies; sondant les moindres recoins de notre être. Le pèlerinage libère des toxines physiques, sociales et spirituelles. Il nous défait de toutes ces charges inutiles. Le pèlerinage est un lieu privilégié qui permet un passage par le vide. Mais ne vous méprenez pas, ce n’est pas non plus une torture psychologique! Le pèlerinage nous entraîne sur des voies intérieures que nous serons capables d’appréhender; chacune en son temps, un pas à la fois. Ne regardez pas le sommet de la montagne, seulement le pas que vous vous apprêtez à franchir… et le pèlerinage vous sera accessible.
N’hésitez pas, soyez nombreux à vous lancer sur les « caminos » du Québec. Nos chemins sont merveilleux et permettent une expérience digne du Chemin de Compostelle! Ce sont les pèlerins d’ici qui feront de nos chemins de pèlerinage des voies dignes de Compostelle. Un chemin est habité par l’âme de tous ses pèlerins.