Le bonheur du marcheur
Je marche le long du fleuve.
Le vent qui souffle couvre tous les bruits environnants.
Mes bâtons rythment le pas.
Le fleuve est noir.
Des nuages gris-bleu roulent dans le ciel.
Les hautes herbes imitent les mouvements de l’eau.
Par vagues, elles s’inclinent et se relèvent,
passant du vert tendre au vert sombre.
Malgré la grisaille de cette matinée,
il y a une espèce d’euphorie en moi,
une joie intense à me trouver à cet endroit, en ce moment.
Quelques gouttelettes éparses se mettent à tomber.
Je m’arrête pour couvrir mon sac de son enveloppe et enfiler mon imperméable.
Le temps est frais. Je frissonne.
En rebouclant mon sac sur mes épaules, je vois que mes mains ont rougi.
Je les frotte, les réchauffe un peu
et étire les manches de mon manteau pour les couvrir.
Puis, je les glisse dans les sangles de mes bâtons.
Je m’appuie quelques instants avant de reprendre ma marche.
Des moutons blancs courent sur le fleuve.
Un parfum de rosier sauvage me passe sous le nez.
Je le cherche du regard. Ah, il est là!
Je reprends la route.
Tout en marchant,
mes yeux se ferment quelques secondes,
simplement pour habiter l’instant.
Je respire profondément, l’air est si bon.
Mon visage est détendu.
L’agitation intérieure qui vrombissait en moi, quelques jours plus tôt,
a complètement disparue.
Je savoure l’état dans lequel je me trouve.
Mon corps est dénoué de ses tensions, malgré l’effort physique.
Ma tête est plus légère aussi.
Les préoccupations qui la tourmentaient, aux premiers jours de marche, ont cessé.
Mon esprit se libère.
J’ai l’impression d’être sur terre pour la première fois.
D’être réellement vivant.
Mes yeux reviennent sur le chemin.
D’autres pèlerins avancent au loin, portés par le vent.
Certains s’arrêtent, contemplent.
Je les vois inspirer à plein poumons.
D’ici, j’entends leur bonheur de marcher.
La route est encore longue devant moi,
mais tout mon corps ne veut plus s’arrêter…