L’heure du retour
Pour plusieurs, l’heure du retour de leur expérience pèlerine a sonné depuis quelque temps. Les derniers arrivent à peine. Les plus aventureux feront durer l’expérience jusqu’aux derniers jours de novembre. Mais peu importe, il faudra bien revenir un jour ! Mais revenir de quoi ? Revenir à quoi ? Et dans quel état ? Où en suis-je dans ma vie maintenant que ce chemin a été franchi ?
Si le chemin du pèlerin se vit à travers chacun de ses pas, dans l’espace de la rencontre, l’expérience pèlerine ne peut prendre forme que dans le langage et demande à être racontée pour dépasser ce qui n’en fait qu’un « beau voyage ». Je me souviens d’un père, artiste, qui interdisait à ses enfants de répondre « c’est intéressant » lorsqu’ils appréciaient une œuvre. L’expérience de la rencontre demande à être décortiquée pour nous pénétrer en profondeur. Le chemin est à parcourir à travers les effets que la rencontre a suscités, et il ne peut se faire que dans l’après. Au retour.
Toute expérience de cheminement opère de la même manière : en laissant des traces, des traces invisibles qui ne sont accessibles que par le langage. Comment savoir ce qui vous a touché en parcourant les pages de ce roman si vous ne le racontez à personne ?
Pour prendre conscience du chemin parcouru, il est essentiel de revenir sur les temps forts de cette expérience, de raviver ce qui a marqué ma lecture du chemin. Il s’agit alors de poser ces instants dans le langage, de les mettre en mots pour leur donner forme. Dire « c’est intéressant » ou « c’est un beau voyage » ne suffit pas. Il faut aller plus loin : dire de quoi est fait ce beau voyage, ce qui le distingue, en quoi il m’a touché. Poser l’expérience en lieux de langage permet d’y circuler, de la préciser et d’en ordonner le parcours. Les effets du chemin entraînent le pèlerin quelque part. Or, s’il est remué par cette expérience, c’est qu’elle le déloge. C’est qu’elle l’interpelle dans un « autrement » qui le surprend, le trouble ou l’enthousiasme. L’expérience interroge le quotidien, celui vers lequel je reviens.
Le travail du retour ne doit donc pas être négligé. Le pèlerinage se joue dans cet espace de relecture : celui qui saisit et ordonne dans le langage. L’expérience se poursuit dans cet ultime effort de narration. Comme le peintre qui retouche sa toile jusqu’à ce qu’elle atteigne ce niveau de perfection qui le satisfait, le pèlerin doit raconter son expérience jusqu’à ce qu’il ait trouvé les mots, les couleurs, la musique qui lui rendent justice. Une fois cet instant atteint, lorsqu’il dépose son crayon, son pinceau, son ciseau de sculpteur, et qu’il contemple l’œuvre achevée, il réalise que le chemin est ailleurs et que le fruit de ce travail le révèle de manière inattendue.
Éric Laliberté
Belle réflexion. Merci