Les bottines ne font pas le pèlerin

Les bottines ne font pas le pèlerin

2024-05-15 4 Par Brigitte Harouni

Même si l’on taillait en pointe les oreilles d’un baudet,

on n’en ferait jamais un cheval de course.

Michel Largillière.

Lors d’un de nos nombreux pèlerinages, nous avons fait la rencontre de Bruno et Isabelle. Deux français qui voyageaient à vélo. Ils avaient sillonné l’Europe, l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et arpentaient maintenant les routes de l’Amérique. Cela faisait plus de 7 ans qu’ils avaient mis la clé sous le paillasson de leur maison. Alors qu’ils nous racontaient leur périple, une jeune cycliste s’étonna et intervint : « Bruno, vous qui êtes cycliste depuis tout ce temps, comment se fait-il alors que vous ne portiez pas de casque? » Car effectivement, Bruno et Isabelle ne portaient pas de casque, pédalaient en sandales, vêtus d’un short et d’une camisole des plus ordinaires. Bruno lui répondit avec un air un peu surpris : « Mais nous ne sommes pas cyclistes! » Sa réponse nous fit tous sourire. Avoir autant de kilomètres dans les mollets et ne pas se considérer cyclistes! Ils se percevaient davantage voyageurs, nomades, touristes, aventuriers. « Le vélo, c’est juste notre moyen de transport! » précisa-t-il.

Si le vélo ne fait pas le cycliste, alors il y a fort à penser que les bottines ne font pas le pèlerin. Un marcheur n’est pas forcément un pèlerin. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point. Mais qu’en est-il s’il porte un gros sac à dos? Qu’il voyage de village en village, cheminant avec des bâtons de marche? Et s’il a un bâton en bois sculpté, est-il alors davantage pèlerin? Lui manque-t-il un chapeau au large rebord pour être reconnu comme tel, pour se distinguer du randonneur ou du simple touriste? Faut-il pour être un pèlerin authentique être parti du seuil de son chez soi? Vivre frugalement? Dormir modestement? Souffrir quotidiennement? Avoir les pieds usés? Faut-il être croyant et cheminer vers un lieu de dévotion? Comment reconnaitre le pèlerin si ces indices externes, objectivables et mesurables, ne suffisent pas? Si l’habit ne fait pas le moine, qu’est-ce qui le fait?

Selon l’adage, « l’habit » pourrait n’être qu’un habile leurre, permettant d’influencer, de tromper, de biaiser le jugement de l’autre. Il faut donc aller au-delà de tous ces éléments qui ne sont en fait que des indices externes affichés pour annoncer, voire imposer, à l’autre la lecture identitaire souhaitée. Les critères d’identité de Bruno sont internes. Ce n’est pas le vélo qui lui confère son identité. Le vélo n’est qu’accessoire. Il en va de même pour le pèlerin. Nul besoin d’apparat à qui se sent pèlerin. Le pèlerin s’observe dans ce qu’il « est », dans sa manière d’être en relation, d’agir et de penser. Celui qui est pèlerin sur le chemin l’est donc également dans l’ordinaire de sa vie. Ce n’est pas un costume qui s’enfile, c’est une manière d’être à la vie qui favorise encore plus de vie.

Brigitte Harouni