Pèleriner entre moi et l’autre
Le pèlerinage est l’enjeu d’un autre. Sans cet autre, il n’y a pas de pèlerinage. Si je pèlerine c’est que je suis en déplacement et, par conséquent, je me trouve dans la position de l’étranger, de l’être de passage. Pourtant, ce qui étonne dès les premiers pas hors de chez soi, ce sont les différences, ce qui est hors norme, la marginalité. L’étranger, je le pointe partout sur mon chemin! Je le vois, je le sens, je le goûte. Il est partout. Or, dès cet instant, je suis pris au piège de la normalité et de ses règles. Ce qui est normal : c’est moi!
Pèleriner s’effectue dans cet espace de tension maintenu par l’écart de la rencontre. L’étrangeté se situe dans l’écart qui sépare « moi » de « l’autre ». Dans cet espace, les deux parties sont le reflet d’une norme bien éphémère, une norme qui s’ébranle au contact de l’altérité. L’autre me montre combien je suis différent, mais aussi combien il est possible de vivre autrement! Dans cet espace de confrontation, ma réaction aux différences révèle le poids de mes résistances face au déplacement qu’appelle l’écart de la rencontre.
Ce qui fait cheminer s’impose dans et par l’espace de la différenciation. Sans cet écart entre moi et l’autre, je ne suis rien, l’autre n’existe pas. Savoir se tenir l’un face à l’autre demande donc une profonde humilité, doublée d’une grande part de renoncement. Car dans la folie du même, du tous pareils, il devient impossible d’exister. Le monde est fait de contrastes. Ce qui est ne se reconnait que par l’écart de la rencontre. Le vent se perçoit lorsqu’il agite les feuilles. La danse se reconnait alors que le danseur est dansé. La froidure de l’hiver se reconnait au contact de ma peau encore toute chaude. Dans ces mouvements, faits d’oppositions et d’étrangetés, s’entend tout le mouvement pèlerin : il se perçoit parce qu’il y a de l’autre sur le chemin. Sans lui, c’est le néant.
Ce n’est donc pas seulement pour moi, mais pour nous, que nous pèlerinons et que nous allons au-devant les uns des autres. Loin de chez soi, hors du convenu, il devient possible de voir en vérité. Pas seulement pour le recul ou la perspective que cela apporte, mais bien pour l’écart que cela crée avec soi-même. Éloigné de ce qui m’enclave et me cerne, je parviens à lire, entendre, sentir et goûter, d’un autre lieu. Nous avons ainsi tous résolument besoin les uns des autres. Dans cet espace, l’autre se révèle une grâce sur mon chemin par ce qu’il offre sur son passage. Dans la différence qu’il manifeste, il fait exister ceux et celles qu’il croise.
Par cet autre, cet étranger, cette étrangère, ce prochain, cette prochaine, ce pèlerin, cette pèlerine, chacun est autorisé à être.
Éric Laliberté
Merci Éric pour votre texte!
Bientôt, je vais déménager et vous me faites réfléchir sur cet écart que je devrai apprendre à apprivoisent avec confiance.
Une autre occasion de partir à la rencontre de cet autre qui est à la fois si différent de moi et si semblable dans ses aspirations et ses appréhensions.
Rolande Trottier
J’aime particulièrement votre texte (que je vais devoir lire et relire). Ces temps-ci différentes situations m’amènent justement à réfléchir sur cette difficulté d’accepter la différence. Bon Dieu que c’est difficile des fois! On a beau se prendre pour quelqu’un de tolérant…
Sur le chemin de Compostelle cette différence était difficile parfois aussi, évidemment. Mais on était de passage. Pas obligé de tenir compagnie aux gens qui ne nous convenaient pas (en tout cas, pas tout le temps). Mais dans le quotidien ordinaire on ne peut pas déménager à chaque fois qu’un voisin se comporte d’une manière qui nous semble inacceptable…
Ce qui était si bon, sur le Chemin, c’étaient ces petites conversations où, sans rien connaître de la vie de l’autre, on pouvait échanger un ressenti parfois si profond… J’ai une grande reconnaissance pour ces moments.