Écouter pour entendre
Être écouté, c’est être remis au monde, c’est exister, c’est comme si on vous redonnait toutes les chances d’une vie neuve.
Christian Bobin
On dit bien souvent que le chemin de pèlerinage est aussi un chemin de parole. Pendant que le ruban des kilomètres se déroule sous les bottes du pèlerin, ses pensées cherchent des mots pour se dire. Au fil des jours, des rencontres se font. Du simple bonjour, on bascule rapidement vers un échange de vérités. Des mots jusqu’alors emprisonnés se libèrent et prennent vie. Un peu timides au début, ils tendent à s’affirmer, deviennent plus clairs, plus précis, plus parlant. Ils ouvrent la voix au cheminement.
Mais qu’est-ce que la parole sans l’écoute? Celui qui reçoit les mots occupe une bien délicate posture. Simple receveur de la vérité de l’autre, il cherche étrangement spontanément à se doter d’un rôle plus gratifiant. Il questionne et réagit. Il devient tour à tour enquêteur, colligeant des données factuelles pour mieux comprendre le discours de l’autre; conseiller, offrant son expertise pour orienter la réflexion de l’autre; gestionnaire, trouvant des solutions à la problématique de l’autre; complice, partageant ses propres souvenirs que l’histoire de l’autre fait émerger. Pourtant, tout ce que l’on attend de lui, c’est d’écouter. Écouter pour entendre.
Savoir écouter est un art. Loin d’être un acte passif, écouter invite à être attentif non pas seulement aux mots dits, mais à tout ce qui est exprimé par l’autre, et même à ce qui ne l’est pas! Écouter, c’est chercher à entendre ce que l’autre tente de dire et l’accompagner dans cette recherche de mise en mots. L’écoutant accepte alors ainsi de s’oublier un peu, de se mettre en sourdine, le temps de suivre le chemin de parole de l’autre. Tout comme l’instrument d’accompagnement complète l’œuvre musicale principale, l’écoutant soutient celui qui est en train de composer afin que sa musique sonne juste à ses propres oreilles.
Dans ce tandem entre l’écoute et le dire, une relation se crée, un « marcher ensemble » apparait. De « je » et « tu » se dessine peu à peu un « nous ». L’écoutant se met au diapason de l’autre et avance en rythme avec lui. Dans cet espace où les mots circulent librement, les deux s’apprivoisent et s’accordent. Celui qui parle ose risquer de se dire en vérité. Tandis que celui qui écoute, lui, se risque à entendre et donc à être déstabilisé dans ses certitudes par le chemin que l’autre l’invite à suivre temporairement.
Entendre et être entendu sont deux retombées positives qui découlent de cet art de la conversation. C’est en étant entendu que le pèlerin peut advenir à lui-même pour continuer sa route avec plus de légèreté. Et c’est en entendant que l’écoutant ouvre ses horizons et découvre de nouveaux points de vue. Parler et écouter : un duo duquel peut naitre toute une symphonie!
Brigitte Harouni