Là où le temps a un goût d’éternité.
Marcher vraiment, c’est aller au rythme de la fleur qui s’ouvre.
Michel Jourdan
Dans tous les domaines la vitesse ne cesse de gagner du terrain. Nous sommes passés du train au TGV, du four conventionnel au micro-ondes, de la commande manuelle à la télécommande, du courrier postal au courriel, de l’appel téléphonique aux textos. En 1920, un Finlandais détenait le record du monde des marathoniens avec un temps de 2h38. En septembre dernier (2018), ce record était loin derrière avec la performance d’un Kenyan à Berlin : 2h01. Même le corps humain parvient à des vitesses insoupçonnées! Mais avec toute cette vitesse, qu’advient-il de notre humanité?
Dans Le Devoir du 17 novembre dernier, Laurie Noreau rédigeait un article intitulé : « Où est passé l’empathie? ». Elle s’interrogeait alors sur les travaux de Charles-Antoine Barbeau-Meunier, étudiant en médecine à l’Université de Sherbrooke, et retenait de leur entretien qu’il existe une relation entre « degré d’empathie » et « temps ». Qu’en réduisant le temps consacré aux tâches, s’ensuit une augmentation de la vitesse d’exécution, faisant décroître le degré d’empathie des intervenants.
Plus vite, plus performant, plus productif, plus rentable. Le moindre impondérable est un croc-en-jambe sur le marathon de la vie. Impondérable? C’est l’humain pratiquement à tous les coups. L’humain dans toute son humanité! Distractions, cafards, angoisses, peurs, oublis, blessures, âges, ces traces d’humanité viennent troubler la cadence. Mais comment les gérer? On va au plus court. Une tape dans le dos pour encourager, un texto pour dire que je pense à toi, des pensées heureuses sur ton Facebook. Ne surtout pas s’apitoyer ou pleurnicher! Il y a un malaise face à la souffrance de l’autre. Face à la sienne aussi…
Ces observations, comme vous le voyez, dépassent les milieux de la santé. Barack Obama les signalait déjà comme véritables enjeux de société. C’est ce que rappelle Laurie Noreau dans son article. Pour ajouter, les recherches de Mary Gordon, fondatrice du programme éducatif Roots of Empathy, abondent dans le même sens et soutiennent que l’empathie sera la compétence la plus recherchée de ce siècle. La rapidité gagne sur le relationnel et l’empathie se voit lentement glissée vers la liste des qualités en voie d’extinction. Tout cela, parce que nous faisons et allons trop vite!
Chaque espace libéré par excès de vitesse est aussitôt comblé pour faire plus. Le temps ainsi récupéré est rarement utilisé pour être savouré. Au contraire! Il est de plus en plus réduit, pressé, condensé, à un point tel que c’est l’essence même de notre humanité qui est ainsi centrifugée. Il n’en reste qu’un triste concentré.
La lenteur est gage de notre humanité. Elle inscrit un rythme et une qualité de vie, met en contact avec nos sens, ravive les détails du quotidien. Elle autorise le dîner prolongé. Elle a du temps pour discuter et tenir la main. Elle remet à plus tard ce qui devient énervant; rend attentif aux enjeux de ce qui se vit, ici et maintenant, et jusque dans ses prolongements. La lenteur affine le regard. Elle rend visionnaire. Elle installe dans l’instant, non dans l’instantanéité. Là où le temps a un goût d’éternité.
Éric Laliberté
« Il y a un malaise face la souffrance de l’autre. Face à la sienne aussi… » Et de fait, la difficulté d’accueillir la souffrance de l’autre découle de la difficulté d’admettre et d’accueillir sa propre souffrance. Merci pour ce bel article Éric.
C’est tellement vrai! J’en discutais justement avec une collègue de travail dernièrement. On dirais que l’on cours toujours après le temps. On essaie de faire les choses toujours un peu plus vite en espèrant qu’au bout du compte il nous restera du temps pour se reposer mais non. Donc maintenant j’ai décidé de prendre le temps de faire les choses sans me courrir comme une poule pas de tête. Je suis préposé aux bénéficiaires et s’est vrai qu’avec l’ouvrage que l`on a on en oublie notre empathie envers l’autre. C’est a nous de remédier à la situation.