Récoltes pèlerines
Du chaos naît une étoile.
Charlie Chaplin
Depuis ma naissance, je grandis entourée. On m’épaule, on m’éduque, on me couve, on me pousse. Volontairement, ou pas, on m’influence. On me modèle, on me façonne, on me construit. Tout mon environnement extérieur a teinté et balisé ma route. Je suis présentement le produit de ce projet collectif. Mais suis-je vraiment moi?
Aujourd’hui une adulte accomplie, il flotte en moi cette impression d’inconfort. Un sentiment d’incomplétude. Ce besoin de changer de peau. Celle-ci ne me semble plus tout à fait confortable. Je m’y sens un peu à l’étroit. J’y ai vécu de bons moments. Elle m’a bien servie. Mais je ne suis plus tout à fait la même. Elle appartient à ce moi d’un temps aujourd’hui révolu. J’ai besoin d’espace pour mieux respirer. Ouvrir une nouvelle fenêtre. Recalculer ma trajectoire pour mettre le cap vers ce lieu qui me ressemble plus. Un quelque chose d’insaisissable me manque qui m’incite à me mettre en marche, à lever l’ancre.
Je prends le large. Je pars pèleriner de village en village, de rencontre en rencontre. Je profite des temps de solitude pour écouter le silence. Le silence de mes pensées. Je savoure ce vide intérieur. Je prends plaisir à me retrouver. Pèlerine, j’allège et j’ajuste mon sac à dos. Les jours passent. Le temps et l’éloignement aidant, je me dépouille de ces béquilles du passé devenue inutiles; je reconsidère certaines règles ou obligations que je m’impose qui sont parfois rendues désuètes voire même enfermantes; je démêle les valeurs et les croyances, celles des autres et les miennes; et je dépoussière souvent aussi des rêves et des désirs qui ont ponctué ma vie comme un doux refrain, attendant un jour de prendre forme. Je redéfinis mes assises. Et plusieurs jours durant, je m’ajuste pour enfin marcher à un rythme qui me fais du bien. Ce rythme de vie qui est le mien.
Mon pèlerinage s’achève et je vois venir avec inquiétude mon retour dans ce quotidien certainement inchangé que j’ai laissé derrière moi. Comment rentrer dans ce moule alors que j’ai changé de forme? Ma marche a fait rejaillir à ma conscience des facettes de moi dont je ne peux plus, veux plus, faire abstraction. Certaines choses doivent mourir pour me permettre d’avancer sur ma route. Lâcher prise, laisser aller, redéfinir le rapport que j’entretiens avec certains éléments de mon quotidien pour mieux répondre à ma réalité actuelle et à celle vers laquelle je désire me diriger. Actualiser des forces et des passions qui s’étaient endormies, qui attendaient que je me libère du temps pour bien les vivre. Oser continuer d’avancer avec assurance et détermination avec cette nouvelle peau, celle dans laquelle je respire avec plus d’aisance et de liberté tout en conservant l’harmonie avec ce qui est déjà bon autour de moi. Regarder devant et marcher cette nouvelle route un pas à la fois.
Comme le vent qui secoue l’arbre de ses feuilles et de ses branches mortes, je me libère de ce qui m’encombre et m’alourdit pour permettre au cycle de ma vie de bien continuer. Un vent de liberté m’habite. J’en profite pour lever mes voiles!
Très beau texte.