Marcher dans le vide
L’espace d’une vie est le même, qu’on le passe en chantant ou en pleurant.
Proverbe japonais
Le vide est l’ingrédient incontournable à toute création. Il est la page blanche de l’écrivain, la caisse de résonance du tambour, l’espace de liberté qu’envahit le danseur, les morceaux de bois que retire le sculpteur, la toile vierge qui attend le premier coup de pinceau. C’est dans cette absence en attente de réalisation que peut germer et s’épanouir une idée. Dans cet espace de circulation actuellement libre d’utilisation, ce lieu de passage et de transformation que la matière prendra forme. C’est cet ingrédient, invisible, intangible, et souvent insaisissable, que le pèlerin, parfois même sans en avoir conscience, découvre et savoure tout au long de son chemin.
La société dans laquelle nous vivons quotidiennement nous incite à acquérir et à accumuler bien plus de choses que nous avons réellement besoin. Sans nous en rendre compte, nous en venons à adopter la même attitude vis-à-vis de tout ce qui nous entoure, même ce qui n’est pas matériel : activités, sorties, amis, heures de travail, heures passées à prendre soins de nos possessions. Notre temps et notre espace sont surchargés, « bien remplis » dit-on. Dès qu’une case se libère, on ressent l’urgence de la combler. Chaque journée est rentabilisée, chaque heure voire même chaque minute compte pour nous permettre de faire tout ce que nous désirons faire et ce que nous nous sentons obligés de faire. Nous sommes rendus des athlètes de haut niveau de la gestion du temps et de l’agenda!
On envie souvent le pèlerin qui voyage léger. On dit qu’il ne voyage qu’avec son essentiel. Ce qu’on ne suspecte pas c’est que celui qui part arpenter les chemins de pèlerinage, débute réellement son voyage avec deux gros bagages. Le premier, son sac à dos, a été pensé et élagué bien avant le départ. Et pourtant, notre pèlerin passera plusieurs kilomètres à le reconsidérer et à se le personnaliser en fonction de ses propres besoins jugés essentiels. L’autre bagage, celui dont on ne parle que très rarement, c’est tout le contenu de notre tête, cette incessante cogitation qui nous habite et agite nos pensées. Ce bagage-là, bien souvent, le pèlerin l’apportera intégralement avec lui.
Le calme et la simplicité du voyage pèlerin mettra rapidement en relief le rythme effréné du tourbillonnement des pensées du pèlerin fraîchement arrivé sur le chemin. Graduellement, jour après jour, le pèlerin s’adapte à sa nouvelle réalité et désengorge le trafic de calculs et de réflexions d’orchestration et de gestion qui cadençait ses journées. Il allège son sac à dos et libère son esprit. Il ralentit, se désencombre. Libéré des charges de son emploi, des obligations de la maison, des exigences des relations, de l’urgence de tout vivre, de la pression du paraître, il fait de l’espace jusqu’à se surprendre un jour à ne plus penser à rien. Il découvre alors le plaisir de ce vide intérieur qui permet d’être pleinement présent à ce qu’il vit. Il savoure la liberté de cette page blanche qui lui permet simplement d’être. Il se demande parfois même comment il pourrait aménager son quotidien pour s’offrir un petit peu de ce vide régulièrement. Car au retour, le train-train qui file nous emporte bien vite à son bord. S’arrêter et s’offrir une page blanche devient souvent un défi à réaliser.
Le pèlerinage est un temps de vide temporaire qui permet à l’individu d’enlever tous les chapeaux, les masques, les costumes qu’il porte, d’arrêter l’incessante roue du faire et de l’avoir. Cet espace de liberté de mouvement offre la possibilité d’afficher ses vraies couleurs et de jouer sa propre musique, celle qui anime réellement sa vie intérieure. Il offre un espace vierge où chacun a l’opportunité de s’actualiser, de découvrir ce qui cherche à germer en lui. L’espace et le temps sont essentiels à la création. En ce début de printemps où tout est appelé à renaître, ne négligeons pas l’importance du grand ménage!
Un texte inspirant qui me fait du bien dans le trop plein de ces derniers jours. De tout coeur, MERCI!