Le vrai pèlerin
Si je ne suis pas moi, qui le sera?
Henry David Thoreau
À l’origine, le pèlerin était cet homme qui partait de son domicile à pied pour aller vers un sanctuaire, pour expier ses fautes, être libéré de ses pêchés ou encore demander des faveurs. Aujourd’hui, sans être forcément aussi dévotes, plusieurs personnes ressentent cet appel qui les amène à entreprendre un long pèlerinage. Sur les chemins de pèlerinage, on peut rencontrer plusieurs types de pèlerins lesquels sont parfois bien différents dans leur façon d’être et leur conception du pèlerinage. Qu’est-ce qui définit le pèlerin d’aujourd’hui?
Lorsqu’un pèlerin en rencontre un autre, les questions classiques ressurgissent : d’où es-tu parti? Jusqu’où vas-tu? Combien de kilomètres fais-tu par jour? Depuis combien de temps es-tu parti? Combien pèse ton sac? Marches-tu seul? Simple échange entre deux personnes partageant un même intérêt ou subtil interrogatoire pour jauger de la réelle valeur pèlerine de l’autre? Existe-t-il un type de pèlerin qui soit plus pèlerin qu’un autre?
C’est en tout simplicité que je me suis amusée à recenser les différents types de pèlerins que j’ai rencontrés et ainsi que ceux qui habitent la pèlerine que je suis. Tout d’abord, il y a le pèlerin-randonneur : un sportif qui aime la marche, la nature et l’aventure. Il aime le calme mais aussi les rencontres agréables. Le pèlerin-touriste, lui, s’émerveille devant l’architecture qui l’entoure, savoure la cuisine locale et se plait à apprendre la langue de la place. C’est un découvreur. Le pèlerin-méditatif, c’est celui qui marche les sentiers tout en cheminant sur sa route intérieure, espérant trouver réponse à ses questions profondes. Il vit pleinement chaque instant, jouit des moments de solitude tout en demeurant en contact avec l’environnement extérieur. Le pèlerin-professionnel, loin d’être un amateur, a tout l’équipement requis, les informations nécessaires du chemin et connait les règles du jeu. Il sait tout avant même de l’avoir vécu car il marche avisé. Le pèlerin-sportif, lui, s’est entrainé avant de partir. Il avance d’un bon pas, se lève tôt, apprécie l’effort physique tant pour la bonne fatigue qu’il génère que pour l’extase de la récompense qui le suit. Puis il y a le pèlerin-aventurier, ce spontané qui aime la nouveauté et qui a foi en sa bonne étoile. Il marche sans crainte des imprévus, allant vers l’inconnu qu’il sait être une riche source d’apprentissage et de dépassement de soi.
Mais il y a aussi le pèlerin-consommateur… Le réel défi pour le pèlerin d’aujourd’hui est de déprogrammer tout ce que notre société de consommation nous conditionne à être. Le pèlerinage est devenu une pratique tellement courue, sans mauvais jeu de mots, que notre société « moneyarcale », toujours à l’affût d’un filon fructueux, cherche avidement à se l’approprier. Comme au temps de la ruée vers l’or, chacun vient s’installer aux abords de cette source de revenus dans l’espoir d’en tirer quelques profits. Publicités pour vanter les bienfaits du produit, commercialisation des accessoires et services utiles, marketing d’identité pèlerine : rien n’est oublié! Ainsi, le pèlerinage tend à devenir une expérience à vivre pour ceux qui sont à la recherche de défis originaux. Le pèlerin se doit d’être bien équipé avec les matériaux et les technologies du jour : ultra-légers, performants et griffés. Plusieurs pèlerins-consommateurs vont partir pèleriner avec cette approche de compétition et de performance, reproduisant sur le chemin ce qui les épuise dans leur rythme de vie quotidienne. Le pèlerin-consommateur a un horaire à respecter, un budget de planifié, un objectif à atteindre, des obligations à respecter. Bien difficile d’éviter d’être un peu ce pèlerin quand nous avons baigné toute notre vie dans cette façon d’aborder la Vie!
Sur la ligne de départ, les marcheurs portent tous en eux un peu de chacun de ces pèlerins. Chaque marcheur arrive avec son bagage de vie personnel et les valeurs qui le caractérisent. Après quelques jours de marche, chacun verra un de ses pèlerins prendre les devants. Puis viendra un moment où toutes ces définitions du moi-pèlerin perdront de leur importance. Plus le chemin se fera et plus nos marcheurs partageront des similitudes. Le pèlerin qui se laisse toucher par cette expérience de pèlerinage, celui qui se laisse déplacer et transformer, laissera graduellement tomber ses barrières, ses résistances, ses limites et ses rigidités. Chacun à la mesure de ses capacités, selon où il est rendu sur sa route personnelle. Au final, tous franchiront la ligne d’arrivée, au bout du chemin, si bout il y a… . Chacun y parviendra en suivant la route qu’il a choisie, celle qu’il a faite sienne.
Suis-je plus pèlerin si je prie durant ma marche? Si je mendie mon gite et mon repas? Suis-je plus pèlerin si j’ai un sac à dos de qualité, des bottes de marque, des bâtons ultra-légers-rétractables et le classique chapeau à long bord? Suis-je moins pèlerin si je ne marche que 15 km par jour? Suis-je moins pèlerin si mon âne porte l’équipement ou si je fais une section en autobus? Suis-je moins pèlerin si je ripaille et me lève èa 8h? Existe-t-il un « vrai » pèlerin? Je ne le crois pas. Et qui serais-je pour en juger de la sorte! Je crois cependant que tout pèlerin se doit d’être vrai à lui-même. Le vrai pèlerin est celui qui marche en harmonie avec lui-même.
Brigitte Harouni
Tellement vrai et tellement beau comme réflexion pour avoir eu le plaisir de prendre un petit goûter à votre résidence en août 2015 j’ai vu en vous deux des personnes spéciales et géniales je prend toujours plaisir à vous lire merci
je n’ai pas fait tout le chemin…mais vous m’avez rassuré,
Merci!