Le temps de se relire

2018-02-23 3 Par Éric Laliberté
Jeune, je n’avais aucune vision, mon avenir paraissait aussi flou que mon passé.
Johnny Hallyday
En cherchant à observer le phénomène pèlerin de plus près, je vois passer toutes sortes de choses. Ces derniers temps, l’une d’entre elles m’a étonné. Puis, avec les semaines, l’étonnement s’est transformé en un vif intérêt. Ma curiosité était piquée : Pèlerinage à St-Barth sur la tombe de Johnny Hallyday!

Depuis le décès de Johnny Hallyday, le 5 décembre dernier, la France est en deuil. Tout l’hexagone est sous le choc et se remet difficilement de la nouvelle. Pour les Français : « C’est comme enterrer Elvis! », titraient certains journaux.  En effet, le rocker a marqué plus d’une génération et cette marque a laissé sa trace dans toute la francophonie. Comme tous ces gens, la mort de Johnny ne me laisse pas indifférent. Qui n’a pas fredonné : « J’ai oublié de vivre » ou encore « Que je t’aime ». C’est toutefois à la suite de ses obsèques que j’ai commencé à sourciller.

Le 11 décembre, des funérailles intimes sont célébrées à Saint-Barthélemy, une ile des Antilles françaises où le chanteur avait sa résidence. Les fans déçus que ce ne soit pas Paris, commencent à planifier leur départ pour « St-Barth ». Le 12 décembre, Le Parisien annonce : « A Saint-Barthélemy, le pèlerinage a commencé sur la tombe de Johnny. » Le 13 décembre c’est Le Figaro qui renchérit : « Johnny Hallyday : le pèlerinage sur sa tombe, à Saint-Barthélemy, a commencé. »  Mais c’est le lendemain des funérailles, alors que le journal La Croix demande : « Johnny, bientôt des « miracles » à Saint-Barth ? », que je suis renversé. Curieux d’en savoir plus, je me mets à suivre tout ce qui s’écrit sur ce pèlerinage à St-Barth. Depuis, pas une semaine ne passe sans qu’on ne parle de « pèlerinage » sur la tombe de Johnny. La formule semble même avoir pris place dans le langage courant et personne n’y porte plus attention. Cette semaine, 18 février, c’est Le Parisien qui annonçait, suivi de plusieurs autres, qu’une agence de voyage mettait sur pied un forfait aux tarifs imbattables pour se rendre en « pèlerinage » à St-Barth. La demande est si forte, semble-t-il, qu’il fallait y répondre!

Ce qui est étonnant, c’est la vitesse à laquelle les choses se sont mises en place. Même si la mémoire d’une célébrité telle que Johnny n’est pas la première à faire l’objet d’une telle dévotion – Memphis suscite de tels élans depuis belle lurette et la tombe de Jim Morrison en a vue de toutes les couleurs, pourquoi l’appellation pèlerine surgit-elle dans ce contexte? Y a-t-il quelque chose de « religieux » dans ce pèlerinage? Si oui, de quel religieux s’agit-il?

J’ai voulu pousser la question plus loin et, après avoir lu les entrevues réalisées avec plusieurs fans projetant de se rendre en « pèlerinage à St-Barth », j’ai tiré une ficelle qui me semble parlante. C’est en lisant ce témoignage d’un fan, sur LCI, que la chose m’a sauté aux yeux. Alors que celui-ci se préparait à prendre l’avion pour se rendre sur la tombe du chanteur, il racontait : « Johnny, c’est la famille. C’est comme ça, depuis que je suis né. Mon grand-père a écouté Johnny. Mon père a écouté Johnny. Mes enfants écoutent Johnny. Johnny, c’était un gars de la rue, il pouvait aussi bien manger avec un milliardaire qu’avec un mec comme vous ou moi. C’était quelqu’un de simple qui n’a jamais eu la grosse tête. Quelqu’un qui chante la vie. Il a enthousiasmé toutes les générations. Il n’y en aura plus jamais des comme lui. En Amérique, ils avaient Elvis, nous on avait Johnny. Ce n’est plus un chanteur, c’est un membre de la famille. » On sent bien la puissance de l’attachement dans les paroles de cet homme. La rupture n’en est que plus douloureuse. Mais ce récit n’est pas anodin!  C’est par lui qu’il se met en route. À travers son pèlerinage vers la tombe de son idole, c’est toute sa vie que cet homme relit/relie : des valeurs, une manière de vivre, des souvenirs, des temps forts, toute sa vie y passe dans cette relecture. Et c’est là qu’est l’œuvre du pèlerinage.

Le pèlerinage est marqué par cette rupture dans le temps. Qu’il s’agisse d’un deuil, d’un revirement de vie, d’un épuisement ou autre, la déchirure vient fissurer l’univers connu et renverser l’ordre des choses. Plus rien ne sera comme avant! La relecture surgit alors presque d’elle-même. Même s’il est un processus parfois souffrant, c’est lui qui provoque au cheminement. Comme si la vie appelait à aller plus loin. C’est par ce processus de relecture qu’un nouvel ordre peut s’établir et que lentement la confusion nous quitte, que je démêle mon histoire : « Qu’est-ce que je garde? Qu’est-ce que je laisse? » Le temps du pèlerinage devient alors exercice de l’esprit, exercice spirituel, à l’écoute des motions intérieures. Le temps de se relire…

Éric Laliberté