Marcher pour vivre dans la postmodernité

2017-01-13 2 Par Éric Laliberté
Le vrai miracle n’est pas de marcher sur les eaux ni de voler dans les airs :
il est de marcher sur la terre.

Houeï Neng
La vie est mouvement. Il n’y a pas une seule parcelle de vie qui ne soit en mouvement. De la moindre pierre, au plus grand des astres; du micro-organisme, au corps le plus complexe; du vent dans les arbres, au cours de la rivière; du sang dans mes veines, aux mouvements interstellaires, tout bouge! Ce qui refuse de bouger est voué à mourir.

La plante qui renonce à pousser ne donnera pas de fruit et finira par pourrir. Le cours d’eau qui s’arrête finit par stagner et s’assécher. Toutefois, mouvement ne signifie pas pour autant agitation. Je peux remuer une eau stagnante, elle n’en sera pas plus vivante. La vie n’est pas agitation. Le mouvement de la vie est loin de l’agitation compulsive de notre époque et c’est en le goûtant, en s’y plongeant, qu’on le perçoit. L’expérience pèlerine se situe dans cette dynamique. Elle nous met en contact d’une manière toute particulière avec ce mouvement vivant. Plus encore, elle permet de marcher en marge du monde pour faire table rase des influences de la modernité et redécouvrir le monde dans son essence vitale. Le nouveau pèlerin est définitivement postmoderne.

Il n’y a rien de plus simple que la marche.

Avant la modernité, le cours de la vie était établi par les institutions gouvernementales, ecclésiales et scolaires. Cependant, l’hégémonie des institutions a fini par s’user et en révolter plus d’un. Les institutions se sont alors montrées décevantes sur plusieurs points et l’entrée dans la modernité a fait éclater ces repères traditionnels. La modernité a cessé de regarder derrière et s’est résolument tournée vers l’avenir. Nous allions reprendre les choses en main et construire des jours meilleurs, dans un futur… qui n’en finissait plus d’être repoussé. Malgré sa vision d’avenir sans limite et son économie – en apparence – toujours triomphante, la modernité a fini par désenchanter et a fait place à la postmodernité.

La postmodernité a fait éclater les derniers repères de la vie sociale et l’a fragmentée de toute part. Aujourd’hui, plus rien ne tient ensemble. Il ne reste qu’un individu cellulaire dont l’identité, elle aussi fragmentée, est dissimulée derrière une multitude de masques à porter. Ici, le courant est fort. Il devient difficile de s’accrocher à quoi que ce soit. Toute certitude est remise en question et cette situation peut devenir effrayante. On le voit d’ailleurs avec la montée des mouvements radicaux traditionalistes qui prennent le sentier de la guerre et lèvent le poing. Qui suis-je dans ce monde qui se dissout? Où vais-je dans cette tempête poussant, tirant, dans toutes les directions? La révolution a eu lieu, mais le vide qu’elle a laissé est angoissant. Et certains jours, dans l’angoisse et l’agitation postmoderne, il y a réellement de quoi être effrayé. Nous cherchons alors désespérément de nouveaux repères.

Comme après toute révolution dans l’histoire de l’humanité, nous avons de la difficulté à faire le passage vers un vivre autrement. Nous reproduisons alors les mêmes systèmes sous d’autres appellations, jusqu’à ce que nous trouvions l’espace d’y échapper. Nous ne fréquentons plus les églises, mais nous passons nos dimanches au gym à vénérer le corps… parfait. Nous ne croyons plus en l’économie actuelle, mais nous inventons des économies parallèles. Il est devenu tellement difficile de vivre, de se donner des repères de vie, que nous nous offrons les services d’un coach de vie.  Toutes les solutions sont bonnes pour ne pas se laisser emporter par l’absence de sens de la postmodernité. La surconsommation, sur tous ses plans, est sans doute celle que nous empruntons le plus souvent pour supporter ce mouvement déchaîné. Ce mouvement est-il vivant pour autant?

Dans l’éclatement des repères de la postmodernité, l’expérience pèlerine est sans doute l’une des expériences à travers laquelle nous puissions faire une sage et bénéfique transition vers l’après-postmodernité. Pour que le chaos puisse passer, se donner du recul pour mieux l’observer; se donner l’espace et le temps pour aller plus loin que ce courant en le quittant; sauter en bas du train de l’agitation postmoderne et, du lieu du pèlerinage, l’observer de la marge. Dans cet espace et ce temps différent, le pèlerin postmoderne reprend contact avec le courant de la Vie : lenteur, contemplation, calme, gestes simples, gratuité, entraide, fraternité, communauté de base… Le pèlerinage met en relief ce qui manque à nos vies. En somme, marchez pour vivre! Il n’y a rien de plus simple que la marche pour réapprendre à vivre quand tout fout le camp.

Éric Laliberté