Un escargot sur l’autoroute de la vie.

2016-11-25 2 Par Éric Laliberté
Le pèlerin, tout comme l’escargot, porte sur lui un point d’interrogation. Au cœur de notre 21ième siècle, sa lente présence nous déconcerte. Auto-stoppeur? Itinérant? Marchand ambulant? Pourquoi? Surtout, pourquoi? Le pèlerin est une interrogation pour notre époque.

escargotsLorsqu’il passe le pèlerin, il met du temps à traverser nos vies. Alors que sa route s’étire, on le croisera plus d’une fois. Passant et repassant devant lui, chaque rencontre devient provocation. En nous rendant à l’épicerie, on l’aperçoit, désinvolte, appuyé sur ses bâtons, il attend patiemment de traverser la rue. À l’heure du lunch, c’est dans le parc que nous l’apercevons. Allongé au pied d’un arbre, il fait la sieste, pendant que nous, nous devons retourner au boulot. Le lendemain matin, en nous pressant d’aller déposer les enfants à la garderie, nous le croisons de nouveau. Cette fois, c’est tout le village voisin qu’il défie de son pas joyeux et de ses yeux rieurs. Sa nonchalance nous nargue. Son petit air satisfait nous irrite. Et voilà qu’on le croise partout! Le pèlerin, de par sa lenteur, nous semble soudainement omniprésent.

siesteMalgré la constance de son pas, il met du temps le pèlerin. Il en met du temps pour arriver jusqu’à nous, pour traverser nos vies. Et son passage provoque. Il questionne notre mode de vie. Lorsqu’il s’arrête et que nous avons enfin la chance de l’interroger, c’est toute sa vie que nous scrutons à travers nos questions : d’où viens-tu? Où vas-tu? Pourquoi? Croyant nous soulager par cet interrogatoire, il nous entraîne encore plus loin dans nos tourments. Par ses réponses, c’est toute notre vie qu’il nous force à examiner. Secoués par cette rencontre, nous le quittons lentement, comme s’il nous avait communiqué une part de sa lenteur. Dans nos urgences, on en vient souvent à manquer l’essentiel…

Pourquoi? Même si on la lui pose souvent cette question, sa réponse n’est jamais la même. Elle évolue. Sans cesse, il la refaçonne, la retourne, la polit. Sa réponse est en cheminement, tout comme il l’est physiquement. Dégagé des contraintes inutiles, il n’a qu’à vivre. Tout son être chemine, grignotant des bouts de chemin, des bouts de vie – non pour les posséder, mais pour se laisser prendre, vivre en eux, avec eux. Le pèlerin se laisse traverser par le mouvement vivant du chemin, l’appel du sanctuaire qui vibre en lui; et, au fond de nous-mêmes, cette audace nous attire et nous exaspère. Tiraillé entre esclavage et liberté, elle nous reflète ce dont nous n’avons pas le courage. Elle renvoie à un vivre autrement dont l’inconnu inquiète le consommateur boulimique que nous sommes devenus. Elle nous renvoie à une innocente confiance en la Vie. Une innocence que nous avons perdue… trekking-245311_640Le pèlerin avance, confiant. Il n’attend rien, surtout pas qu’on prenne sa vie en main. Il fait son chemin et en reprécise la destination chaque jour. Il marche en quête de vérité, en quête d’une vie vraie, sans artifice. Alors que nos vies débordent d’exigences jusque dans nos pauvretés.

Regarder un pèlerin passer, c’est comme s’arrêter pour regarder l’escargot traverser le chemin : le temps semble se fixer. Pourtant, il n’en n’est rien. Plus détendu, moins stressé, le pèlerin avance autrement. Il n’était pas comme ça avant. C’est l’expérience qui l’a transformé, qui l’a façonné de l’intérieur. Une puissance invisible, instinctive, qui l’attire et le défait de lui-même. Le pèlerin a un impact social indéniable. Tout en douceur, il en provoque plus d’un sur son passage. C’est un révolutionnaire tranquille.

Éric Laliberté