L’art de vivre pèlerin

2016-11-11 1 Par Éric Laliberté
Je sais que la vie vaut la peine d’être vécue, que le bonheur est accessible,
qu’il suffit simplement de trouver sa vocation profonde,
et de se donner à ce qu’on aime avec un abandon total de soi.
Romain Gary
Affranchi du modèle religieux, le pèlerinage est devenu un art de vivre en pleine croissance. Un phénomène qui se développe et s’articule autour de la marche et la transcende. Car si c’est dans le pas à pas que l’expérience prend forme, c’est bien au-delà de nos bottes qu’elle nous élève. Tous ceux et celles qui pratiquent le pèlerinage vous le diront : il en va plus que d’une simple escapade touristique! Le pèlerinage nous transporte, nous bouleverse, nous renverse, nous chahute, nous bouscule, nous presse, pour nous laisser – à bout de force – abasourdis et émerveillés. L’expérience est intense. Elle nous fait basculer dans un autre vivre, entrevoir une autre réalité, d’autres possibles. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à embrasser ce mode de vie. Que ce soit pour quelques mois, quelques années ou même toute une vie, le pèlerinage donne des fourmis dans les jambes à plus d’un. Mais comment définir cet art de vivre pèlerin? De quoi est-il constitué pour interpeller le pèlerin aussi profondément? Pour le réfléchir ensemble, nous soulignerons cinq principes propres à ce modèle de vie en émergence.

1) Radicalité. Le pèlerin : figure de résistance face à un monde désenchanté.

Camino Frances - FoncebadenLa radicalité semble sur toutes les lèvres ces temps-ci. Bien qu’elle nous apparaisse souvent subversive, voir dangereuse, la radicalité dont il est question ici s’intéresse à l’étymologie du terme. C’est-à-dire radical au sens de retour aux sources, à ses racines. Mais quelles racines le pèlerin peut-il bien chercher sur ce chemin? Des racines qui plongent profondément en lui, qui lui parle de sa vie, de sa manière d’être à la vie.

Dans une société occidentale aux relations et aux références fragilisées, l’être humain est laissé à lui-même pour construire une vie qui fasse du sens. La télé, les réseaux sociaux, il en a fait le tour, et les groupes de croissance personnelle, il en a assez. En se faisant pèlerin, l’être humain cherche à se distancier d’un mode de vie, de ses influences, pour toucher un espace de vérité et c’est par lui-même qu’il compte y arriver. Il y a un désir d’autonomie derrière cette quête. Il ne cherche pas LA vérité, mais SA vérité. La radicalité du pèlerinage relève ainsi de la résolution, c’est-à-dire qu’elle vise un retour à sa véritable nature. Pour un grand nombre de pèlerins c’est un malaise, plus ou moins grand, qui les a poussés à se mettre en route. Ce mal être les incite à rompre avec un mode de vie décevant et se mettre en quête de sens. Il y a un appel qui monte de ce désir… Il écoute.

2) Dépouillement. Pour en finir avec le marchandage de soi.

Ile d'OrléansFace au dépouillement, l’image qui nous vient est sans doute celle du sac à dos toujours trop plein. Celui-ci, cependant, a tôt fait de nous propulser sur un autre registre. Notre culture de consommation, nous l’avons construite autour d’un marchandage identitaire. Après plusieurs décennies à se chercher à travers tout un fatras de marques et de modes; cette course pour se distinguer, se dire et s’afficher; l’être humain est épuisé. En se faisant pèlerin, il se déleste de tout ce poids social et prend conscience de l’illusoire de ce mode de vie. Par le dépouillement, un espace se crée pour laisser place à l’écoute de ce qui l’habite. En se défaisant de son surplus, le pèlerin redécouvre l’espace de l’essentiel.

3) Communauté. La communauté du chemin : un vivre ensemble en mouvement.

Les amitiés et les liens qui se tissent sur le chemin sont d’une puissance incroyable et s’installent avec une rapidité phénoménale. Le sentiment d’appartenance est fort. Le pèlerin l’expérimente dès ses premiers pas. Mais, soyez rassurés, ce n’est pas toujours le conte de fée! Le chemin de pèlerinage peut d’ailleurs prendre des allures de village gaulois. Comme chez Astérix et Obélix, les émotions peuvent être vives et les emportements aussi, mais nul ne sera laissé pour compte. Tout le monde y trouve sa place. Il en va cependant d’un vivre ensemble en mouvement, sans attachement, sans dépendance. La communauté du chemin évolue et ne sera pas toujours constituée des mêmes visages. Elle va et vient dans ses liens tout en demeurant habitée par les mêmes valeurs, les mêmes sentiments : liberté, fraternité, égalité, entraide. Un vivre ensemble qui rompt avec la culture occidentale du chacun pour soi. La communauté du chemin, c’est d’abord le cœur sur la main qu’elle se vit.

4) Joie de vivre.  Un art de vivre qui ne se prend pas au sérieux.

Ile d'OrléansC’est une caractéristique du pèlerin qui est frappante : il dégage une joie de vivre. Non qu’il soit toujours dans un état de bonheur extatique, bien qu’il vive des moments difficiles, celui-ci dégage une joie de vivre qui va au-delà des souffrances qu’il peut expérimenter. Malgré les difficultés, le pèlerin est heureux de ce qu’il accomplit et il rend grâce d’être ainsi comblé par cette expérience qui ne cesse de l’émerveiller. Le pèlerin redécouvre le sens de l’émerveillement. Dépouillé de tout superflu, il se fait une fête de bien peu. Avec quelques pâtes et quelques conserves, des festins sont concoctés dans la bonne humeur.

La joie de vivre du pèlerin c’est aussi l’art de l’autodérision. Le pèlerin apprend à rire de lui-même, de ses travers et s’accueille dans l’erreur. Elle l’extrait de ses rigidités qui se réclamaient d’un paraître, pour découvrir la liberté d’être. La joie de vivre du pèlerin vient aussi alléger son fardeau.

5) Vocation. Un appel à vivre en mouvement.

Le pèlerinage prend racine dans le mouvement en réponse à une parole entendue, perçue, en soi. Du latin « Vocare » qui signifie : « appeler », vocation désigne l’appel et est corrélatif à l’écoute. En somme, vocation nous dit : « Mets-toi à l’écoute de cette parole qui t’habite et te traverse.  Entends cette parole qui te fait vibrer, cette parole qui te fait parler et qui te met en mouvement. » Le pèlerin a quitté sa demeure en quête d’un sens à sa vie et c’est sur la route, dans le mouvement qui le tient en tension entre ses origines et son sanctuaire, qu’il trouve une réponse à son mal de vivre. Vocation aussi au sens où la vie du pèlerin est si bonne, qu’il peine à s’en détourner. S’y adonner devient alors une vocation. Ile d'OrléansC’est-à-dire que sa vie y prend tout son sens et qu’il puise dans ce bon goût la force d’adopter cet art de vivre contre toute subversion. Au plus profond de lui, le pèlerin sait que cette forme de vie résonne en cohérence avec tout son être. Dès l’instant où il accepte de se laisser guide par cette parole inscrite en lui, par cette « vocation », c’est tout son sac de vie qui s’en trouve allégé. Il se laisse alors porter par le mouvement de la vie inscrit en lui et demeure en cheminement vers.

Bien entendu, d’autres principes peuvent fonder l’expérience pèlerine. Ceux-ci nous apparaissent toutefois majeurs et peuvent baliser le cadre de la démarche dans un art de vivre. Ils devront cependant trouver leur voie jusque dans notre quotidien. Pour que cette expérience ne meure, ces principes devront faire jaillir des repères inspirants. Nous devrons dégager de l’espace et du temps. Entraîner nos vies dans de perpétuels pèlerinages, concrétisant « ici » ce qui nous faisait vibrer « là-bas ». Si j’ai pu expérimenter ces principes sur le chemin, c’est qu’il est possible de vivre ainsi et que cette expérience me parle. Ma vie peut contenir la substance de l’esprit pèlerin, ai-je mis les choses en place pour me laisser transformer?

Sur le chemin, le pèlerin-randonneur développe la capacité de se mettre à l’écoute de cette parole qui parle en lui, qui vibre en lui et le met en route. Libre, il lui appartient maintenant de persister dans l’écoute de ce mouvement et dans l’observation de cet art de vivre pèlerin.Bottes et Vélo - Emblême

Éric Laliberté