Que reste-t-il de Compostelle?

2015-11-06 4 Par Éric Laliberté
Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.
Federico Garcia Lorca
La saison du pèlerinage tire à sa fin et la plupart des pèlerins sont de retour de Compostelle ou des autres chemins. Mis à part quelques téméraires qui affronteront les premières neiges sur le Camino, la majorité est rentrée et a déjà raconté mille fois son odyssée. Les yeux encore brillants, la tête chargée de souvenirs, elle a rangé son sac à dos, trié ses photos, repris contact avec certains pèlerins, l’étincelle dans les yeux… le cœur nostalgique.

Puis, lentement, la vie a repris son cours. Le réveil nous a rappelé que ce n’était plus le soleil qui rythmait nos journées, qu’il y avait un horaire à respecter et que mille corvées nous attendaient. Compostelle - Camino FrancesMachinalement dans certains cas, difficilement pour quelques-uns, avec langueur pour plusieurs, nous avons réintégré la routine quotidienne mais le cœur n’y était pas, n’y était plus. Plus comme avant en tout cas… Comme si cette expérience du Camino avait révélé quelque chose de soi qui ne corresponde plus à ce mode de vie, à ce rythme.

Plusieurs semaines se sont écoulées maintenant et, malgré tout, la nostalgie nous rattrape à l’occasion. Elle nous surprend en ouvrant ce placard où nous avons rangé nos bâtons ou, encore, lorsque nous passons devant cette photo, suspendue au mur, et que notre regard s’y perd. Un simple regard et c’est tout notre corps qui reprend la route.

Ce chemin de terre sous ce ciel si bleu… Compsotelle - Camino Frances
Je revois les vignes et les maisons aux toits d’ardoises noires. J’entends encore le bruit de mes pas sur la terre battue. Ma peau se rappelle les cuisants rayons du soleil et la sueur qui glissait sur ma nuque. Les champs, les montagnes, les villages, les couleurs, les fleurs, les gens, les sourires, tout me revient. Mes yeux n’en finissent plus de tout avaler du regard, éblouis, émerveillés. Même l’odeur de Compostelle me monte au nez sans effort…

L’envie de reprendre la route me revient aussitôt. Tout était si simple là-bas!
Pourquoi là-bas et pas ici?

Que me reste-t-il de cette longue marche, de ce moment qui a bouleversé ma vie? Où en suis-je aujourd’hui? Ai-je réellement été transformé par le chemin? Me suis-je illusionné, bercé par l’absence d’obligation et l’insouciance de ces journées sous le champ d’étoiles ?

Certainement pas! Ce que nous avons vécu sur le Camino est bien réel.

Compostelle - Camino FrancesLe pèlerinage demande un effort, vous le savez. Il a fallu faire l’effort de dégager l’espace, le temps nécessaire pour partir. Et ça n’a pas été facile! On a mis parfois des années avant de se décider, avant de trouver le moyen de passer à l’action. Il nous a fallu dégager une plage horaire pour quitter – cinq semaines – le travail, la maison, les enfants, les obligations. Ce n’est pas rien! Mais nous y sommes pourtant parvenus. Nous avons trouvé l’espace-temps nécessaire pour répondre à cet appel qui nous pressait de l’intérieur. Nous avons fait l’effort et c’est cet effort qui a fait en sorte que l’expérience est devenue réalité. C’est cet effort qui nous a transformés. Ce n’est pas arrivé tout seul! C’est arrivé parce que j’ai fait de la place dans ma vie pour que ça puisse arriver.

Maintenant que nous sommes revenus, c’est le même effort qu’il nous est demandé de faire. Au retour, nous devons aussi faire de la place dans nos vies. Nous devons faire l’effort de dégager l’espace et le temps nécessaire pour que puisse germer la nouveauté que le chemin a semé en nous. Et cet effort pourrait demander autant d’énergie que ce qu’il m’a fallu pour me décider à partir et me lancer sur le Camino… Mais ça en valait le coup! N’est-ce pas?

Compostelle - Camino FrancesSur le chemin, mon corps a appris ce qu’il désire, ce qui est bon pour lui, autant physiquement qu’émotivement. Sur le chemin, nous écoutions ce qui se jouait en nous. Nous avons expérimenté, goûté et ajusté le tir en fonction de ce ressenti. Jour après jour, nous avons pris le temps de nous harmoniser au rythme de la nature et de nos rencontres. Aujourd’hui, ce ressenti je le connais, j’en connais la saveur. Suis-je prêt à faire confiance à ce goût que j’ai développé pour mon bien-être? Suis-je prêt à faire en sorte que chaque jour devienne une occasion de faire quelques pas dans la direction de ce mieux-être que je désire pour ma vie?

Prenons le temps de nous questionner…
Aujourd’hui, qu’ai-je fait pour prendre soin de moi et gérer mon temps de manière agréable? Le matin, sur le camino, j’appréciais le premier café au coin de la première terrasse; le lever du soleil dans le chant des oiseaux, les bains de pieds dans le ruisseau. Ici, ai-je fait de la place dans mon agenda pour tous ces petits plaisirs qui me rendent la vie agréable ou si je les néglige?Compostelle - Camino Frances

Ai-je pris le temps d’alléger mon sac de vie de ce qui me pèse inutilement? C’est bien beau vider son sac à dos, mais mon sac de vie est souvent lourd lui aussi. Cette culpabilité, ces jugements, ces vieilles histoires que je traîne pour rien. Ai-je pris le temps de faire le ménage là aussi?

Ai-je fait confiance à mes capacités pour répondre à mes besoins? Après quelques jours sur le chemin, malgré la nouveauté des lieux et les difficultés de la langue, j’ai pu prendre conscience que je ne manquerais de rien et qu’il y aurait toujours quelqu’un pour m’aider en cas de besoin. Ai-je la même confiance envers la vie, ici?

Compostelle - Camino FrancesAi-je établi de nouveaux repères ou suis-je revenu sur mes vieux sentiers? Sur le chemin, je n’hésitais pourtant pas à changer de direction lorsque je réalisais que je faisais fausse route. Qu’en est-il de ma vie ici? Est-ce que je m’entête sur un chemin qui ne me mène pas là où je voudrais aller?

Quel est l’horizon de cette nouvelle vie que je veux tracer? Quelle promesse porte-t-elle? Ai-je pris le temps de formuler ma nouvelle destination de vie suite à mon pèlerinage? Suis-je toujours en cohérence avec l’élan de vie qui m’habitait sur le chemin?

Prenons le temps d’y réfléchir. Prenons le temps d’y mettre le temps. Ça vaut le coup! C’est tout de même pour une vie meilleure…Bottes et Vélo - Emblême

Éric Laliberté